15/02/2015

Réglementer la prostitution en France


Le 17 juillet 2014, des militantes Femen se sont introduites au sein du Sénat où était discuté le projet de loi contre le système prostitutionnel proposé par la ministre du droit des femmes, Najat Vallaud-Belckacem. Face à la décision de la haute chambre de ne pas étudier le texte, largement amputé par l'Assemblée nationale quelques jours auparavant, le slogan « Sénateur = proxénète » a raisonné dans la salle. Considérer le refus d'intervention de l’État comme acte de proxénétisme montre bien l'évolution de la vision du rôle et des fonctions de l’État, celui-ci ayant déjà connu de telles accusations au temps où, au contraire, il réglementait massivement dans ce domaine de l'action publique.
Le régime des politiques publiques françaises en termes de prostitution a évolué au cours du temps. La France aura connu un système réglementariste puis abolitionniste, ce dernier ayant évolué récemment vers une forme de prohibitionnisme. Ces évolutions dans les actes législatifs ainsi que dans les actions juridiques et policières se sont accompagnées d'une transformation du discours politique à l'endroit de la prostitution, participant à un mouvement de publicisation de la question. L’État est classiquement défini comme exerçant le monopole de la violence physique et symbolique légitime. Il fixe le droit, ce qui doit être accepté ou toléré par les populations. C'est ainsi un rôle actif qu'il joue dans l’universalisation d'une morale. La législation est donc un objet social en elle-même. Le choix de telle ou telle politique est justifié par une morale, voire un inconscient religieux, mais est décidé sur la base d'enjeux socio-économiques, politiques et sanitaires contemporains, lorsqu'une occasion politique se présente au gré de l'histoire.
Je vais donc tenter de vous exposer ici comment la prostitution a été réglementée en France du XIX° siècle à nos jours. Je tenterai plus particulièrement de mettre en évidence comment la prostitution a été définie comme acte criminel au croisement de préoccupations socio-économiques, sanitaires, politiques et morales.

Pour cela je vous exposerai trois périodes. Premièrement la période de 1800 à 1860, durant laquelle est bâti le système réglementariste français. Puis de 1860 à 1945, la remise en cause du French System, et la montée en puissance des visions qui nourriront la troisième grande période des politiques de la prostitution. Cette dernière, s'étendant de 1945 à nos jours, est marquée par la mise en place progressive du système abolitionniste.


La période de 1800 à 1860 est marquée par la mise en place du réglementarisme en France. Ce type de système de contrôle de la prostitution reconnaît cette dernière comme une réalité inévitable qu'il convient d'encadrer et d'organiser.
L'intervention étatique, différente de la simple prohibition, n'était pourtant pas une évidence dans un domaine comme celui de la prostitution. Ainsi, réglementer ou ne pas réglementer apparaissait au début du XIX° siècle comme un dilemme moral et politique. L'idée en soi n'était pas nouvelle. Elle trouvait des soubassements philosophiques dans le De Ordine de Saint Augustin où était développé le concept de « mal nécessaire ». Sur le plan politique et historique, il existait déjà une tradition française de surveillance et de contrôle de la prostitution sous l'Ancien régime. La motivation principale était socio-économique : dans une société hiérarchiquement divisée comme celle de la monarchie des Bourbons, il s'agissait de maintenir l'ordre dans les familles et en particulier les familles aristocratiques où l'enjeu de l'héritage était important. La révolution a remis en question les lois qui lui étaient antérieures, c'est donc sous le consulat en 1800 que va être défini le système moderne de réglementation de la prostitution. Je vous ai cependant mentionné l'existence d'un dilemme ; il faut désormais en définir les termes. Il y avait, d'une part, une position morale selon laquelle légiférer en terme de prostitution aurait été équivalent à salir le législateur. Dans cette optique, l’État n'aurait dû ni agir à l'encontre de cette pratique, ni s'exprimer à son propos. En parallèle était mise dans la balance une problématique politique : la nécessité de faire régner l'ordre et de surveiller le commerce sexuel. C'est au nom de l'application des pouvoirs régaliens de l’État qu'en 1800 a été crée le système réglementariste. Deux missions lui étaient officiellement assignées. Il devait permettre de maîtriser la prostitution sur une base morale, à savoir, tolérer la prostitution ostensible sans débauche. Sa seconde raison d'être était de permettre aux organes de l'État de connaître la prostitution, afin de maintenir l'ordre, non au sens d'ordre moral mais de sécurité. Le système n'en était pas moins ambigu, voir hypocrite dans sa décision de légiférer en terme de prostitution. En effet, si le législateur décidait de la nécessité d'un contrôle, celui-ci devait s'effectuer sur une base municipale : il laissait donc aux autorités locales la responsabilité d'agir contre et de débattre de la prostitution.
Le système réglementariste français, aussi appelé French system, était avant tout caractérisé par son sanitarisme et son moralisme aboutissant à une criminalisation du ou de la prostitué-e, qui seul-e avait véritablement affaire à la police ou la justice. Il s'agissait en effet d'un système policier. Chaque prostituée devait se déclarer et un dossier était créé pour elle. Ce fichage s'accompagnait d’une réglementation portant sur les prostituées elles-mêmes (par exemple il devait s'agir de femmes adultes et célibataires) ainsi que sur leurs méthodes de travail (comme le lieu d'exercice qui devait également être déclaré). Les règlements les plus invasifs étaient liés aux préoccupations sanitaires du système : empêcher la prolifération des maladies vénériennes était un objectif majeur. Pour préserver la santé des clients, les prostituées devaient se faire examiner régulièrement et obligatoirement dans un dispensaire (elles étaient de fait souvent emmenées par leur tenancière) ; les informations étaient ensuite ajoutées à leur dossier. Néanmoins les maladies vénériennes n'étaient pas le seul fléau que le French System se proposait d'endiguer : il s'agissait surtout d'éviter la dégradation morale de la nation. Ainsi, des règles de comportement étaient prescrites à l'intérieur et à l'extérieur des bordels. Dans les maisons closes, l'essentiel était de s'assurer de l'absence de turpitude. A ces fins, toute activité dans l'enceinte de la maison devait pouvoir être surveillée par la tenancière ou les agents des mœurs (l’absence de clef aux portes et les vitres dans les chambres faisaient partie des techniques communes, si ce n'est obligatoires). La tenancière elle-même ne devait plus être une femme vénale. L'aspect extérieur des maisons closes devait également marquer le statut des lieux, il s'agissait d'indiquer le danger moral sans montrer l'immoralité elle-même. Ainsi les bordels étaient en général illuminés à n'importe quelle heure, et présentaient de grands numéros à l'entrée, les référençant souvent dans des guides spécialisés. Les apparences étaient importantes, le « mauvais exemple », l'« immoralité » ne devait pas se répandre en dehors des alcôves. Le comportement des prostituées à l'extérieur de leur bordel était ainsi également codifié : elles ne devaient pas pouvoir être enviées par une « femme honnête » ; dans le même ordre d'idée, il était proscrit de racoler un homme devant sa fille. Ce système, faisant reposer le contrôle et donc la culpabilité sur les « filles de joie », aboutissait ainsi à une forme de ségrégation sociale dans laquelle la prostituée était essentialisée comme « femme de mauvaise vie », paradoxalement susceptible de diffuser le mal moral dont elle était supposément porteuse.
A l'étranger, le French system a fait des émules. En 1866, à travers le Contagious Disease Act, l'Angleterre importe le réglementarisme. C'est ainsi en Angleterre que naissent les premiers mouvements d'opposition au système.

La période comprise entre 1860 et 1945 est marquée par le développement du mouvement abolitionniste, ce dernier poussant en France et dans les pays anglo-saxons à une réforme du système vers une plus grande protection des prostituées.
Plus que de « mouvement abolitionniste », il convient de parler des « mouvements abolitionnistes ». En effet, la fracture théorique est nette entre les deux ailes de la dénonciation du French System. On établit classiquement une distinction entre abolitionnisme compassionnel et abolitionnisme libéral. Pour le premier, les prostituées sont considérées comme des victimes enfantées par la pauvreté devant être remises dans le droit chemin, et l’État est vu comme organisateur de l'immoralité. Les maisons closes, dans ce contexte théorique, deviennent alors des lieux qui déshumanisent la femme. La seconde tendance tend également à redéfinir l'identité des prostituées comme celle de victimes, mais victimes de la répression policière et de la dénégation de leur droits sociaux et politiques. L'abolitionnisme compassionnel est lancé d'Angleterre, où naît le mouvement anti-réglementariste de Elisabeth Wolstenholme et Judith Butler. Il fait des émules en France où la féministe Maria Deraisme théorise une pensée s'y rapportant, et Julie Daubié déresponsabilise les « filles de joie » en faisant d'elles des victimes de la pauvreté. En 1877 y est lancé une première campagne contre le réglementarisme, accompagnée de la création d'un comité pour l'abolition de la prostitution. Les « militants » créent progressivement des associations nationales (1875 : naissance du mouvement abolitionniste britannique) puis internationales (1880 : congrès européen). L'abolitionnisme libéral trouve une voix en 1876, lors de la publication par Yves Guyot d'articles contre le réglementarisme dans Les droits de l'Homme. Le journaliste critique la république qui n'a pas modifié les anciennes institutions, des institutions défaillantes puisque sont dénoncées des complicités entre policiers et proxénètes. Pour ces articles Guyot sera condamné, ainsi que le directeur de son journal. Le mutisme ou le rejet parlementaire ne sont pas les seules causes de la désorganisation de l'abolitionnisme. En effet, à partir des années 1880, les divergences entre les mouvements se montrent toujours plus profondes. L'Anti-réglementarisme de Butler se rapproche d'un prohibitionnisme considérant que les prostituées doivent être sorties de la rue et réintégrées dans la vie sociale via une entreprise de relèvement moral. Parallèlement les libéraux avancent l'idée d’une absence de régulation étatique, mais afin de protéger la dignité humaine… et la liberté de disposer de son corps. Le misérabilisme de Butler est alors partagé par de nombreuses féministes. En 1884 Guyot doit démissionner de sa position de leader du mouvement, car il forme une minorité. L'ouverture de maisons de Fantine, refuge pour prostituées repenties faisant référence à la célèbre héroïne de Victor Hugo, montre que la suprématie de l’abolitionnisme compassionnel introduit désormais dans l'imaginaire social l'image de victime des « filles de joie » dont l'activité n'est plus considérée comme un choix libre.
L'abolitionnisme, bien que mobilisé sur le terrain politique, n'aboutit à des actes que sur le terrain associatif, et ceci est dû à l'inertie des autorités publiques et particulièrement législatives qui choisissent alors de privilégier le sanitarisme à la question sociale. Dans la seconde partie du XIX° siècle, la question de la prostitution se publicise. On peut y voir une conséquence du développement des journaux qui en cette fin de siècle se montrent friands de faits divers, ainsi que de la publication de nouvelles. En effet la présence de la prostitution est particulièrement intensifiée dans l'imaginaire public par la plume des écrivains, comme Zola ou Huysmans. A côté des fictions, les journaux offrent également des tribunes permettant une dénonciation du French System. Ce dernier est désormais attaqué au nom d'une critique politique et sociale. La critique politique met en avant l'inefficacité du système, inapte à maintenir l'ordre et par voie de conséquence faisant mauvais usage des pouvoirs régaliens de l’État. En effet, dans la seconde moitié du XIX° siècle, les « insoumises » (prostituées non enregistrées) sont nombreuses, des lieux de passe comme les cafés-concerts et les bouis-bouis concurrencent le système légal. La critique sociale est liée à la dénonciation des affres de la condition ouvrière, en particulier durant la belle Époque. On sait qu'entre 1870 et 1914, la prostituée moyenne est une femme de moins de 30 ans, venant des arrondissements populaires, née en province et souvent travaillant pour l'industrie. Elle quitte en général la prostitution en trouvant un mari. Dès lors les familles ouvrières ont peur du mauvais exemple, et les couches dirigeantes d'une subversion de la mobilité sociale via l'usage de leur sexualité par ces femmes des classes populaires. Face à l'urgence sociale, les gouvernements successifs n'agiront pas. La menace médicale, en un temps où Alfred Fournier énonce l'hypothèse d'« hérédité syphilitique », prime sur tout autre argument. On pourra citer à titre d'exemple le fait que la seule loi réformant le système dans une vision sociale n'a jamais été appliquée. Il s'agissait d'une loi de 1908 permettant de réprimer la prostitution tout en mettant en place des mesures éducatives. Les gouvernements ont en fait refusé de légiférer, toujours pétris de l'idée selon laquelle parler de prostitution était indigne du législateur. En 1895, l'Assemblée rit littéralement au nez du sénateur Bérenger quand celui-ci déclare souhaiter aborder le projet en séance. Dans ce contexte, la première guerre mondiale fait taire toutes les hésitations : durant cette période, les Bordel Militaires de Campagnes (BMC) sont officiellement reconnus et réglementés directement par l'armée, donc l’État. L’entre-deux-guerres poursuit cette période de glaciation, de refus de l'action ou du discours politique en lien avec la prostitution. C'est une véritable fuite de la question qui se produit durant la Seconde Guerre mondiale, et une pression est exercée sur les prostituées afin qu'elles travaillent dans des bordels spécialisés pour l'armée allemande qui les réglementera en se basant sur la législation française préexistante.
La grande caractéristique de la période 1800-1945 est la reconnaissance sociale asymétrique de la prostitution. La femme vénale est stigmatisée, le client intéresse peu, et c'est même une image positive de lui qui s'est construite. Le système de moralité bourgeoise condamne et fait usage de la prostitution. Si ce système théorique est remis en cause de manière marginale à la fin du XIX° siècle, il faut attendre la moitié du XX° siècle pour en tirer des conséquences légales.

La disparition du système réglementariste en France après la Seconde Guerre mondiale aboutit à la mise en place d'un système abolitionniste, qui exprime un regret vis-à-vis de l'existence de la prostitution et vise à la faire disparaître sans pour autant pénaliser les victimes.
Cette « abolition » du French System est progressive au cours de la seconde moitié du XX° siècle et s'accompagne d'une approche d'avantage sociale des problèmes causés par la prostitution. Contrairement à l'idée largement répandue, Marthe Richard n'a pas détruit seule ce système de régulation. En 1945, c'est bien Marthe Richard qui obtient du conseil municipal de Paris la fermeture des maisons closes sur son territoire, alors que de nombreux bordels sont accusés de collaborationnisme. Le 24 avril 1946 une loi portant son nom est également passée, fermant l'ensemble des maisons closes sur le territoire métropolitain. Quand je dis « métropolitain », cela signifie que les bordels des colonies françaises, encore nombreux à l'époque, ont été exemptés de la loi, assurant ainsi la survivance d'une culture profondément misogyne et raciste. De plus, seules les maisons closes disparaissent alors : le reste du système n'est pas touché par cette réforme, et le 24 avril 1946 une loi sur la prophylaxie et les maladies vénériennes maintient l'obligation de se déclarer et de se soumettre à des visites médicales. Ce n'est qu'en 1960 que le dossier médical est aboli : s'amorce ici un double mouvement de dé-sanitarisation et de dé-criminalisation partielle, la question devient une question sociale et pénale. En effet, en 1958 est mise en place une assistance éducative. La même année, le racolage cesse d'être un délit (peu réprimé) pour devenir une contravention (très appliquée). Il est toutefois à souligner que la loi de 1960, abolissant celle de 1946 en application d'une directive de l'ONU, utilise une phraséologie ambiguë, celle du « fléau social ». L'approche, tout en étant sociale, est teintée de vocabulaire médical, et est toujours caractérisée par la victimisation des prostituées. C'est du milieu prostitutionnel lui-même que viennent les nouvelles visions sociales de la prostitution, aptes à engendrer un nouveau système de réglementation, une nouvelle législation. En 1975 naît le mouvement des prostituées. Parti de Lyon suite à une répression policière excessive, il essaime alors en France et produit une réflexion politique importante. Dans leur revendication apparaît l'idée que la/le prostitué-e n'est pas une victime, mais un-e travailleu-r-se du sexe. Ils revendiquent alors la reconnaissance de l'existence légitime d'un couple prostitutionnel basé sur le libre accord et le partage éventuel du plaisir, le droit de la « femme vénale » de choisir librement son client et d'en refuser, l'émancipation de toute forme de proxénétisme et la reconnaissance de la diversité des fonctions de la prostitution. Ce programme trouve néanmoins peu d'application législative.
Pourtant la question de la prostitution n'est plus un tabou politique, le personnel politique en débat et enclenche des réformes sur la période la plus contemporaine. Ces évolutions dans la sphère politique ne sont pas sans lien avec les évolutions du milieu prostitutionel lui-même. En effet, entre les années 1970 et les années 2000, la sociologie des prostituées change de façon décisive. Lors de la naissance du mouvement des prostituées en 1975, il s'agit d'une population féminine et française, largement soumise au proxénétisme. A partir des années 1980, le profil type se métamorphose. Les réseaux de proxènes sont démantelés. Les prostituées quittent leurs lieux traditionnels de travail. La concurrence du secteur s’accroît, sous l'influence de l'arrivée massive des trans et travestis, de prostituées venues de l’Afrique noire ou de l’Europe de l'Est, et des toxicomanes. Ces changements amènent la question de la réglementation au croisement de plusieurs débats de la vie publique, et en particulier le débat sur l'immigration. La prostitution est donc introduite comme thématique courante de la vie publique, elle est un objet de communication politique. Ainsi le 8 mai 2002, accompagné par une équipe de télévision, Nicolas Sarkozy - alors ministre de l'intérieur -, participe à une opération de police contre la pratique de la prostitution sur les trottoirs du XVIIe arrondissement parisien. La prostitution devient aussi objet de législation. C'est encore en 2002 qu'est présenté un projet de loi portant sur sa réglementation. Cette loi porte sur la sécurité intérieure, et elle présente deux axes principaux :
  • Réintroduction du délit de racolage passif, ce dernier ayant été supprimé en 1994.
  • Possibilité d'expulser les prostituées étrangères coupables de racolage.
L'orientation est clairement sécuritaire, et brouille les lignes entre réglementarisme, abolitionnisme et prohibitionnisme. En effet, l'annonce de ce projet de loi incite alors les maires à adopter des arrêtés territoriaux d'abolition de la prostitution. Ces mesures aboutissent à un renouveau de la criminalisation de la personne pratiquant la prostitution, étant donnée qu’elle est exclusivement visée par les mesures précédentes. Si l'enjeu est celui d'une politique de sécurité (les prostituées étant vues comme générant des nuisances pour leurs concitoyens, voire alimentant des filières mafieuses ou d'immigrations illégales), c'est aussi car l’État a les mains libres sur le versant social de la question de la prostitution. Le système abolitionniste français s'est caractérisé dans les décennies précédentes par une délégation à des services de travail social spécialisés de l'aspect social des politiques de réglementation de la prostitution. Cette organisation a été déstabilisée dans les années 1980 par l'apparition de l'épidémie de VIH : les pouvoirs publics se sont alors tournés vers des acteurs nouveaux, souvent issus du milieu associatif, accentuant la délégation de ses responsabilités sociales. La loi de 2012 contre le système prostitutionnel a cependant ralenti le mouvement sécuritaire pris par les politiques de la prostitution, abolissant le délit de racolage passif malgré leur ambiguïté plus grande sur le plan de l'immigration.


En conclusion, j'ai tenté de vous exposer ici comment la prostitution a été réglementée en France du XIX° siècle à nos jours. Plus particulièrement j'ai essayé de mettre en évidence comment la prostitution a été définie comme un acte criminel au croisement de préoccupations socio-économiques, sanitaires, politiques et morales. Nous avons étudié trois périodes marquées par des régimes différents de politiques publiques, donc des justifications différentes de ces politiques ainsi que des discours politiques différents voir opposés. Chacun d'entre eux portait une vision particulière de la femme prostituée, que celle-ci soit porteuse volontaire du vice, victime, ou travailleuse. Il est cependant notable que les politiques publiques rendent ces distinctions moins claires que les discours. Il est ainsi une constante dans cette histoire de la prostitution que les législations différentes ne touchent que la/le prostitué-e : ce sont ses activités qui sont condamnées. Il est ainsi important de noter le retournement contemporain, qui, dans la lignée de la vision de la prostituée-victime et de la prostitution comme atteinte à la dignité humaine, statue qu'une agression nécessite un agresseur. C'est dans cette logique que s'inscrit l'idée de la pénalisation du client portée par la loi contre le système prostitutionnel de Mme Vallaud-Belckacem. Il conviendra à un autre article de juger de la désirabilité d'une telle décision.   

Catherine Deneuve, Belle de Jour, 1967

NB : j'utilise peu dans cet article la graphie « prostitué-e ». Certains d'entre vous l'auront sûrement remarqué et avanceront que toutes les prostituées ne sont pas des femmes. C'est un fait. Mon parti-pris est néanmoins motivé par plusieurs arguments. Premièrement, sur la grande majorité de la période, en terme de nombre, les prostituées femmes sont nettement plus nombreuses que leurs collègues masculins, attirant ainsi plus l’intérêt des pouvoir public. Deuxièmement, les politiques publiques en jeu ne sont simplement pas les mêmes, mais il conviendrait de parler à l'avenir plus spécifiquement de l'asymétrie entre ces populations de travailleurs/travailleuses du sexe. 

1 commentaire:

  1. " Il conviendra à un autre article de juger de la désirabilité d'une telle décision. "
    Je veux bien l'autre article ! :)

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