Le
17 juillet 2014, des militantes Femen se
sont introduites au sein du Sénat où était discuté le projet de
loi contre le système prostitutionnel proposé par la ministre du
droit des femmes, Najat Vallaud-Belckacem. Face à la décision de la
haute chambre de ne pas étudier le texte, largement amputé par
l'Assemblée nationale quelques jours auparavant, le slogan
« Sénateur = proxénète » a raisonné dans la salle.
Considérer le refus d'intervention de l’État comme acte de
proxénétisme montre bien l'évolution de la vision du rôle et des
fonctions de l’État, celui-ci
ayant déjà connu de telles accusations au temps où, au contraire,
il réglementait massivement dans ce domaine de l'action publique.
Le
régime des politiques publiques françaises en termes de
prostitution a évolué au cours du temps. La France aura connu un
système réglementariste puis abolitionniste, ce dernier ayant
évolué récemment vers une forme de prohibitionnisme. Ces
évolutions dans les actes législatifs ainsi que dans les actions
juridiques et policières se sont accompagnées d'une transformation
du discours politique à l'endroit de la prostitution, participant à
un mouvement de publicisation de la question. L’État est
classiquement défini comme exerçant le monopole de la violence
physique et symbolique légitime. Il fixe le droit, ce qui doit être
accepté ou toléré par les populations. C'est ainsi un rôle actif
qu'il joue dans l’universalisation d'une morale. La législation
est donc un objet social en elle-même. Le choix de telle ou telle
politique est justifié par une morale, voire un inconscient
religieux, mais est décidé sur la base d'enjeux socio-économiques,
politiques et sanitaires contemporains, lorsqu'une occasion politique
se présente au gré de l'histoire.
Je
vais donc tenter de vous exposer ici comment la prostitution a été
réglementée en France du XIX° siècle à nos jours. Je tenterai
plus particulièrement de mettre en évidence comment la prostitution
a été définie comme acte criminel au croisement de préoccupations
socio-économiques, sanitaires, politiques et morales.
Pour cela je vous exposerai trois périodes. Premièrement la période de 1800 à 1860, durant laquelle est bâti le système réglementariste français. Puis de 1860 à 1945, la remise en cause du French System, et la montée en puissance des visions qui nourriront la troisième grande période des politiques de la prostitution. Cette dernière, s'étendant de 1945 à nos jours, est marquée par la mise en place progressive du système abolitionniste.
La
période de 1800 à 1860 est marquée par la mise en place du
réglementarisme en France. Ce type de système de contrôle de la
prostitution reconnaît cette dernière comme une réalité
inévitable qu'il convient d'encadrer et d'organiser.
L'intervention
étatique, différente de la simple prohibition, n'était pourtant
pas une évidence dans un domaine comme celui de la prostitution.
Ainsi, réglementer ou ne pas réglementer apparaissait au début du
XIX° siècle comme un dilemme moral et politique. L'idée en soi
n'était pas nouvelle. Elle trouvait des soubassements philosophiques
dans le De Ordine de
Saint Augustin où était développé le concept de « mal
nécessaire ». Sur le plan politique et historique, il existait
déjà une tradition française de surveillance et de contrôle de la
prostitution sous l'Ancien régime. La motivation principale était
socio-économique : dans une société hiérarchiquement divisée
comme celle de la monarchie des Bourbons, il s'agissait de maintenir
l'ordre dans les familles et en particulier les familles
aristocratiques où l'enjeu de l'héritage était important. La
révolution a remis en question les lois qui lui étaient
antérieures, c'est donc sous le consulat en 1800 que va être défini
le système moderne de réglementation de la prostitution. Je vous ai
cependant mentionné l'existence d'un dilemme ; il faut
désormais en définir les termes. Il y avait, d'une part, une
position morale selon laquelle légiférer en terme de prostitution
aurait été équivalent à salir le législateur. Dans cette
optique, l’État n'aurait dû ni agir à l'encontre de cette
pratique, ni s'exprimer à son propos. En parallèle était mise dans
la balance une problématique politique : la nécessité de
faire régner l'ordre et de surveiller le commerce sexuel. C'est au
nom de l'application des pouvoirs régaliens de l’État qu'en 1800
a été crée le système réglementariste. Deux missions lui étaient
officiellement assignées. Il devait permettre de maîtriser la
prostitution sur une base morale, à savoir, tolérer la prostitution
ostensible sans débauche. Sa seconde raison d'être était de
permettre aux organes
de
l'État
de connaître la prostitution,
afin de maintenir l'ordre, non au sens d'ordre moral mais de
sécurité. Le système n'en était pas moins ambigu, voir hypocrite
dans sa décision de légiférer en terme de prostitution. En effet,
si le législateur décidait de la nécessité d'un contrôle, celui-ci devait s'effectuer sur une base municipale : il laissait donc
aux autorités locales la responsabilité d'agir contre et de
débattre de la prostitution.
Le
système réglementariste français, aussi appelé French
system, était avant tout caractérisé par
son sanitarisme et son moralisme aboutissant à une criminalisation
du ou de la prostitué-e, qui seul-e avait véritablement affaire à
la police ou la justice. Il s'agissait en effet d'un système
policier. Chaque prostituée devait se déclarer et un dossier était
créé pour elle. Ce fichage s'accompagnait d’une réglementation
portant sur les prostituées elles-mêmes (par exemple il devait
s'agir de femmes adultes et célibataires) ainsi que sur leurs
méthodes de travail (comme le lieu d'exercice qui devait également
être déclaré). Les règlements les plus invasifs étaient liés
aux préoccupations sanitaires du système : empêcher la
prolifération des maladies vénériennes était un objectif majeur.
Pour préserver la santé des clients, les prostituées devaient se
faire examiner régulièrement et obligatoirement dans un
dispensaire (elles étaient de fait souvent emmenées par leur
tenancière) ; les informations étaient ensuite ajoutées à
leur dossier. Néanmoins les maladies vénériennes n'étaient pas le
seul fléau que le French System
se proposait d'endiguer : il s'agissait surtout d'éviter la
dégradation morale de la nation. Ainsi, des règles de comportement
étaient prescrites à l'intérieur et à l'extérieur des bordels.
Dans les maisons closes, l'essentiel était de s'assurer de l'absence
de turpitude. A ces fins, toute activité dans l'enceinte de la
maison devait pouvoir être surveillée par la tenancière ou les
agents des mœurs (l’absence de clef aux portes et les vitres dans
les chambres faisaient partie des techniques communes, si ce n'est
obligatoires). La tenancière elle-même ne devait plus être une
femme vénale. L'aspect extérieur des maisons closes devait
également marquer le statut des lieux, il s'agissait d'indiquer le
danger moral sans montrer l'immoralité elle-même. Ainsi les bordels
étaient en général illuminés à n'importe quelle heure, et
présentaient de grands numéros à l'entrée, les référençant
souvent dans des guides spécialisés. Les apparences étaient
importantes, le « mauvais exemple », l'« immoralité »
ne devait pas se répandre en dehors des alcôves. Le comportement
des prostituées à l'extérieur de leur bordel était ainsi
également codifié : elles ne devaient pas pouvoir être
enviées par une « femme honnête » ; dans le même
ordre d'idée, il était proscrit de racoler un homme devant sa
fille. Ce système, faisant reposer le contrôle et donc la
culpabilité sur les « filles de joie », aboutissait ainsi à une
forme de ségrégation sociale dans laquelle la prostituée était
essentialisée comme « femme de mauvaise vie »,
paradoxalement susceptible de diffuser le mal moral dont elle était
supposément porteuse.
A
l'étranger, le French system
a fait des émules. En 1866, à travers le Contagious
Disease Act, l'Angleterre importe le
réglementarisme. C'est ainsi en Angleterre que naissent les premiers
mouvements d'opposition au système.
La
période comprise entre 1860 et 1945 est marquée par le
développement du mouvement abolitionniste, ce dernier poussant en
France et dans les pays anglo-saxons à une réforme du système vers
une plus grande protection des prostituées.
Plus
que de « mouvement abolitionniste », il convient de
parler des
« mouvements abolitionnistes ». En effet, la fracture
théorique est nette entre les deux ailes de la dénonciation du
French System. On
établit classiquement une distinction entre abolitionnisme
compassionnel et abolitionnisme libéral. Pour le premier, les
prostituées sont considérées comme des victimes enfantées par la
pauvreté devant être remises dans le droit chemin, et l’État est
vu comme organisateur de l'immoralité. Les maisons closes, dans ce
contexte théorique, deviennent alors des lieux qui déshumanisent la
femme. La seconde tendance tend également à redéfinir l'identité
des prostituées comme celle de victimes, mais victimes de la
répression policière et de la dénégation de leur droits sociaux
et politiques. L'abolitionnisme compassionnel est lancé
d'Angleterre, où naît le mouvement anti-réglementariste de
Elisabeth Wolstenholme et Judith Butler. Il fait des émules en
France où la féministe Maria Deraisme théorise une pensée s'y
rapportant, et Julie Daubié déresponsabilise les « filles de joie
» en faisant d'elles des victimes de la pauvreté. En 1877 y est
lancé une première campagne contre le réglementarisme, accompagnée
de la création d'un comité pour l'abolition de la prostitution. Les
« militants » créent progressivement des associations
nationales (1875 : naissance du mouvement abolitionniste
britannique) puis internationales (1880 : congrès européen).
L'abolitionnisme libéral trouve une voix en 1876, lors de la
publication par Yves Guyot d'articles contre le réglementarisme dans
Les droits de l'Homme.
Le journaliste critique la république qui n'a pas modifié les
anciennes institutions, des institutions défaillantes puisque sont
dénoncées des complicités entre policiers et proxénètes. Pour
ces articles Guyot sera condamné, ainsi que le directeur de son
journal. Le mutisme ou le rejet parlementaire ne sont pas les seules
causes de la désorganisation de l'abolitionnisme. En effet, à
partir des années 1880, les divergences entre les mouvements se
montrent toujours plus profondes. L'Anti-réglementarisme de Butler
se rapproche d'un prohibitionnisme considérant que les prostituées
doivent être sorties de la rue et réintégrées dans la vie sociale
via une entreprise
de relèvement moral. Parallèlement les libéraux avancent l'idée
d’une absence de régulation étatique, mais afin de protéger la
dignité humaine… et la liberté de disposer de son corps. Le
misérabilisme de Butler est alors partagé par de nombreuses
féministes. En 1884 Guyot doit démissionner de sa position de
leader du mouvement, car il forme une minorité. L'ouverture de
maisons de Fantine, refuge pour prostituées repenties faisant
référence à la célèbre héroïne de Victor Hugo, montre que la
suprématie de l’abolitionnisme compassionnel introduit désormais
dans l'imaginaire social l'image de victime des « filles de joie »
dont l'activité n'est plus considérée comme un choix libre.
L'abolitionnisme,
bien que mobilisé sur le terrain politique, n'aboutit à des actes
que sur le terrain associatif, et ceci est dû à l'inertie des
autorités publiques et particulièrement législatives qui
choisissent alors de privilégier le sanitarisme à la question
sociale. Dans la seconde partie du XIX° siècle, la question de la
prostitution se publicise. On peut y voir une conséquence du
développement des journaux qui en cette fin de siècle se montrent
friands de faits divers, ainsi que de la publication de nouvelles. En
effet la présence de la prostitution est particulièrement
intensifiée dans l'imaginaire public par la plume des écrivains,
comme Zola ou Huysmans. A côté des fictions, les journaux offrent
également des tribunes permettant une dénonciation du
French System. Ce dernier est désormais
attaqué au nom d'une critique politique et sociale. La critique
politique met en avant l'inefficacité du système, inapte à
maintenir l'ordre et par voie de conséquence faisant mauvais usage
des pouvoirs régaliens de l’État. En effet, dans la seconde
moitié du XIX° siècle, les « insoumises » (prostituées
non enregistrées) sont nombreuses, des lieux de passe comme les
cafés-concerts et les bouis-bouis concurrencent le système légal.
La critique sociale est liée à la dénonciation des affres de la
condition ouvrière, en particulier durant la belle Époque. On sait
qu'entre 1870 et 1914, la prostituée moyenne est une femme de moins
de 30 ans, venant des arrondissements populaires, née en province et
souvent travaillant pour l'industrie. Elle quitte en général la
prostitution en trouvant un mari. Dès lors les familles ouvrières
ont peur du mauvais exemple, et les couches dirigeantes d'une
subversion de la mobilité sociale via
l'usage de leur sexualité par ces femmes des classes populaires.
Face à l'urgence sociale, les gouvernements successifs n'agiront
pas. La menace médicale, en un temps où Alfred Fournier énonce
l'hypothèse d'« hérédité syphilitique », prime sur
tout autre argument. On pourra citer à titre d'exemple le fait que
la seule loi réformant le système dans une vision sociale n'a
jamais été appliquée. Il s'agissait d'une loi de 1908 permettant
de réprimer la prostitution tout en mettant en place des mesures
éducatives. Les gouvernements ont en fait refusé de légiférer,
toujours pétris de l'idée selon laquelle parler de prostitution
était indigne du législateur. En 1895, l'Assemblée rit
littéralement au nez du sénateur Bérenger quand celui-ci déclare
souhaiter aborder le projet en séance. Dans ce contexte, la première
guerre mondiale fait taire toutes les hésitations : durant
cette période, les Bordel Militaires de Campagnes (BMC) sont
officiellement reconnus et réglementés directement par l'armée,
donc l’État. L’entre-deux-guerres poursuit cette période de
glaciation, de refus de l'action ou du discours politique en lien
avec la prostitution. C'est une véritable fuite de la question qui
se produit durant la Seconde Guerre mondiale, et une pression est
exercée sur les prostituées afin qu'elles travaillent dans des
bordels spécialisés pour l'armée allemande qui les réglementera
en se basant sur la législation française préexistante.
La
grande caractéristique de la période 1800-1945 est la
reconnaissance sociale asymétrique de la prostitution. La femme
vénale est stigmatisée, le client intéresse peu, et c'est même
une image positive de lui qui s'est construite. Le système de
moralité bourgeoise condamne et fait usage de la prostitution. Si ce
système théorique est remis en cause de manière marginale à la
fin du XIX° siècle, il faut attendre la moitié du XX° siècle
pour en tirer des conséquences légales.
La
disparition du système réglementariste en France après la Seconde
Guerre mondiale aboutit à la mise en place d'un système
abolitionniste, qui exprime un regret vis-à-vis de l'existence de la
prostitution et vise à la faire disparaître sans pour autant
pénaliser les victimes.
Cette
« abolition » du French System
est progressive au cours de la seconde moitié du XX° siècle et
s'accompagne d'une approche d'avantage sociale des problèmes causés
par la prostitution. Contrairement à l'idée largement répandue,
Marthe Richard n'a pas détruit seule ce système de régulation. En
1945, c'est bien Marthe Richard qui obtient du conseil municipal de
Paris la fermeture des maisons closes sur son territoire, alors que
de nombreux bordels sont accusés de collaborationnisme. Le 24 avril
1946 une loi portant son nom est également passée, fermant
l'ensemble des maisons closes sur le territoire métropolitain. Quand
je dis « métropolitain », cela signifie que les bordels
des colonies françaises, encore nombreux à l'époque, ont été
exemptés de la loi, assurant ainsi la survivance d'une culture
profondément misogyne et raciste. De plus, seules les maisons closes
disparaissent alors : le reste du système n'est pas touché par
cette réforme, et le 24 avril 1946 une loi sur la prophylaxie et les
maladies vénériennes maintient l'obligation de se déclarer et de
se soumettre à des visites médicales. Ce n'est qu'en 1960 que le
dossier médical est aboli : s'amorce ici un double mouvement de
dé-sanitarisation et de dé-criminalisation partielle, la question
devient une question sociale et pénale. En effet, en 1958 est mise
en place une assistance éducative. La même année, le racolage
cesse d'être un délit (peu réprimé) pour devenir une
contravention (très appliquée). Il est toutefois à souligner que
la loi de 1960, abolissant celle de 1946 en application d'une
directive de l'ONU, utilise une phraséologie ambiguë, celle du
« fléau social ». L'approche, tout en étant sociale,
est teintée de vocabulaire médical, et est toujours caractérisée
par la victimisation des prostituées. C'est du milieu
prostitutionnel lui-même que viennent les nouvelles visions sociales
de la prostitution, aptes à engendrer un nouveau système de
réglementation, une nouvelle législation. En 1975 naît le
mouvement des prostituées. Parti de Lyon suite à une répression
policière excessive, il essaime alors en France et produit une
réflexion politique importante. Dans leur revendication apparaît
l'idée que la/le prostitué-e n'est pas une victime, mais un-e
travailleu-r-se du sexe. Ils revendiquent alors la reconnaissance de
l'existence légitime d'un couple prostitutionnel basé sur le libre
accord et le partage éventuel du plaisir, le droit de la « femme
vénale » de choisir librement son client et d'en refuser,
l'émancipation de toute forme de proxénétisme et la reconnaissance
de la diversité des fonctions de la prostitution. Ce programme
trouve néanmoins peu d'application législative.
Pourtant
la question de la prostitution n'est plus un tabou politique, le
personnel politique en débat et enclenche des réformes sur la
période la plus contemporaine. Ces évolutions dans la sphère
politique ne sont pas sans lien avec les évolutions du milieu
prostitutionel lui-même. En effet, entre les années 1970 et les
années 2000, la sociologie des prostituées change de façon
décisive. Lors de la naissance du mouvement des prostituées en
1975, il s'agit d'une population féminine et française, largement
soumise au proxénétisme. A partir des années 1980, le profil type
se métamorphose. Les réseaux de proxènes sont démantelés. Les
prostituées quittent leurs lieux traditionnels de travail. La
concurrence du secteur s’accroît, sous l'influence de l'arrivée
massive des trans et travestis, de prostituées venues de l’Afrique
noire ou de l’Europe de l'Est, et des toxicomanes. Ces changements
amènent la question de la réglementation au croisement de plusieurs
débats de la vie publique, et en particulier le débat sur
l'immigration. La prostitution est donc introduite comme thématique
courante de la vie publique, elle est un objet de communication
politique. Ainsi le 8 mai 2002, accompagné par une équipe de
télévision, Nicolas Sarkozy - alors ministre de l'intérieur -,
participe à une opération de police contre la pratique de la
prostitution sur les trottoirs du XVIIe arrondissement parisien. La
prostitution devient aussi objet de législation. C'est encore en
2002 qu'est présenté un projet de loi portant sur sa
réglementation. Cette loi porte sur la sécurité intérieure, et
elle présente deux axes principaux :
- Réintroduction du délit de racolage passif, ce dernier ayant été supprimé en 1994.
- Possibilité d'expulser les prostituées étrangères coupables de racolage.
L'orientation
est clairement sécuritaire, et brouille les lignes entre
réglementarisme, abolitionnisme et prohibitionnisme. En effet,
l'annonce de ce projet de loi incite alors les maires à adopter des
arrêtés territoriaux d'abolition de la prostitution. Ces mesures
aboutissent à un renouveau de la criminalisation de la personne
pratiquant la prostitution, étant donnée qu’elle est
exclusivement visée par les mesures précédentes. Si l'enjeu est
celui d'une politique de sécurité (les prostituées étant vues
comme générant des nuisances pour leurs concitoyens, voire
alimentant des filières mafieuses ou d'immigrations illégales),
c'est aussi car l’État a les mains libres sur le versant social de
la question de la prostitution. Le système abolitionniste français
s'est caractérisé dans les décennies précédentes par une
délégation à des services de travail social spécialisés de
l'aspect social des politiques de réglementation de la prostitution.
Cette organisation a été déstabilisée dans les années 1980 par
l'apparition de l'épidémie de VIH : les pouvoirs publics se
sont alors tournés vers des acteurs nouveaux, souvent issus du
milieu associatif, accentuant la délégation de ses responsabilités
sociales. La loi de 2012 contre le système prostitutionnel a
cependant ralenti le mouvement sécuritaire pris par les politiques
de la prostitution, abolissant le délit de racolage passif malgré
leur ambiguïté plus grande sur le plan de l'immigration.
En
conclusion, j'ai tenté de vous exposer ici comment la prostitution a
été réglementée en France du XIX° siècle à nos jours. Plus
particulièrement j'ai essayé de mettre en évidence comment la
prostitution a été définie comme un acte criminel au croisement de
préoccupations socio-économiques, sanitaires, politiques et
morales. Nous avons étudié trois périodes marquées par des
régimes différents de politiques publiques, donc des justifications
différentes de ces politiques ainsi que des discours politiques
différents voir opposés. Chacun d'entre eux portait une vision
particulière de la femme prostituée, que celle-ci soit porteuse
volontaire du vice, victime, ou travailleuse. Il est cependant
notable que les politiques publiques rendent ces distinctions moins
claires que les discours. Il est ainsi une constante dans cette
histoire de la prostitution que les législations différentes ne
touchent que la/le prostitué-e : ce sont ses activités qui
sont condamnées. Il est ainsi important de noter le retournement
contemporain, qui, dans la lignée de la vision de la
prostituée-victime et de la prostitution comme atteinte à la
dignité humaine, statue qu'une agression nécessite un agresseur.
C'est dans cette logique que s'inscrit l'idée de la pénalisation du
client portée par la loi contre le système prostitutionnel de Mme
Vallaud-Belckacem. Il conviendra à un autre article de juger de la
désirabilité d'une telle décision.
Catherine Deneuve, Belle de Jour, 1967
NB :
j'utilise peu dans cet article la graphie « prostitué-e ».
Certains d'entre vous l'auront sûrement remarqué et avanceront que
toutes les prostituées ne sont pas des femmes. C'est un fait. Mon
parti-pris est néanmoins motivé par plusieurs arguments.
Premièrement, sur la grande majorité de la période, en terme de
nombre, les prostituées femmes sont nettement plus nombreuses que
leurs collègues masculins, attirant ainsi plus l’intérêt des
pouvoir public. Deuxièmement, les politiques publiques en jeu ne
sont simplement pas les mêmes, mais il conviendrait de parler à
l'avenir plus spécifiquement de l'asymétrie entre ces populations
de travailleurs/travailleuses du sexe.
" Il conviendra à un autre article de juger de la désirabilité d'une telle décision. "
RépondreSupprimerJe veux bien l'autre article ! :)