J’inaugure
avec cet article la série des portraits de grandes féministes.
J’ai
choisi de vous présenter Mary Wollstonecraft, féministe et femme de lettres du
XVIIIème siècle ; considérée comme une des précurseurs du mouvement en
Grande-Bretagne. Elle est notamment connue pour son ouvrage Vindication of the Rights of Woman (Défense des droits de la femme), publié
en 1792 (mais qui n’est pas le seul qu’elle ait écrit). Elle fut aussi ce qu’on
appelle une proto-anarchiste – nous en
reparlerons.
Mary Wollstonecraft par John Opie |
Mary
Wollstonecraft connut son heure de gloire de son vivant – à la fois admirée et
vilipendée, avant de retomber dans l’oubli pendant toute la première partie du
XIXème siècle. Elle fut remise au goût du jour en 1840 [1]
par Flora Tristan, féministe franco-péruvienne (qui fera peut-être l’objet d’un
article par l’une des auteures de ce blog, qui sait ?), mais brièvement.
En 1925, Virginia Woolf en fera une des quatre figures de son essai The Common reader [2]. Elle reste toutefois peu connue en France,
surtout du grand public, peu familiarisé avec les figures de proue du féminisme
(c’est pour cela que j’ai fait cet
article, me direz-vous, et vous aurez bien raison).
Mary
Wollstonecraft est née en 1759 à Londres. Elle est issue d’une famille
modeste ; elle n’aura pas la possibilité de faire son éducation en
autodidacte à l'aide d'une bibliothèque familiale pléthorique – comme c’était le
cas pour les jeunes femmes de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie. Son
père lui refusa l’accès à l’enseignement
secondaire. Elle fut vraisemblablement
marquée par une enfance douloureuse, soumise aux affres d’un père violent et
passée à déménager au fur et à mesure que les affaires familiales se
détérioraient.
Elle
va tour à tour exercer le métier de dame de compagnie, d’institutrice et de
gouvernante – les perspectives professionnelles étaient plutôt réduites pour
une femme du XVIIIème siècle. Ses sœurs Everina et Eliza, Fanny Blood (une
amie) et elle, créèrent en 1784 une
école de jeunes filles dans la communauté dissidente (c.à.d. ayant décidé de
faire sécession avec l’Église d’Angleterre) de Newington Green (aux abords de
Londres). Celle-ci ferma en 1785, et Wollstonecraft devint gouvernante en
Irlande, pour la famille Kingsborough.
A
partir de 1787, Wollstonecraft décide de vivre de sa plume ; choix radical
s’il en est, puisque peu de femmes peuvent se targuer d’y réussir à son époque.
Elle publie son premier ouvrage la même année : Thoughts on the Education of Daughters. Il est évidemment
nourri par son expérience de directrice d’école et gouvernante.
Elle
retourne à Londres, et travaille à partir de 1788 comme traductrice pour
l’éditeur James Johnson – qui s’était spécialisé dans la publication de textes
libéraux. Son emploi chez Johnson lui permet d’apprendre l’allemand et le français
en autodidacte. De plus, il la
soutiendra et publiera plusieurs de ses ouvrages – ainsi, en 1788, son premier
roman, Mary : a Fiction. Elle y raconte les aventures amoureuses
– souvent platoniques - et tragiques d’une jeune femme – Mary donc -, et y aborde
quelques uns des thèmes qui seront repris de manière plus approfondie dans A Vindication. S’ensuit la même année un autre ouvrage,
celui-ci de littérature pour enfants : Original
Stories from Real Life – elle y promeut l’éducation des jeunes filles, qui
peut faire d’elles des créatures rationnelles. Là encore,
c’est un argument qu’elle reprendra dans sa Défense
des droits de la femme, et qui fait donc suite à Thoughts. En publiant un ouvrage qui se veut pédagogique
elle le place dans la lignée de Rousseau et de Locke, tous deux théoriciens de
l’éducation – Rousseau avec Emile ou
de l’éducation, et Locke avec Pensées
sur l’éducation.
En
1790, elle rédige A Vindication of the rights of men (Défense des Droits des hommes) en opposition au texte de Edmund
Burke, Reflections on the Revolution
in France (Réflexion sur la
Révolution de France), publié la même année. Ce pamphlet est une critique
acerbe de la Révolution Française, de la part du philosophe et homme politique
britannico-irlandais ; il l’attaque par le prisme du conservatisme et du
libéralisme. Il prend également la défense de la monarchie constitutionnelle
d’Angleterre, du clergé et de l’aristocratie. Le texte de Burke fait
date ; la réponse de Wollstonecraft est la première à être publiée, mais
non la seule : Thomas Paine [3]
et William Godwin, notamment, ajoutèrent leur pierre à l’édifice [4].
L’essai
de Wollstonecraft critique l’aristocratie et ses privilèges, défendus par Burke.
Mais elle attaque aussi ce dernier sur ses arguments et sa rhétorique [5] ; elle lui reproche de justifier une société
inégale fondée sur la passivité des femmes. Il s’agit de sa première
publication ouvertement féministe ; elle rencontre un certain succès.
Du moins, jusqu’à ce que Wollstonecraft soit indiquée comme autrice sur la
première page ; à partir de là, les critiques se firent bien plus
sexistes.
Mary
Wollstonecraft éprouve une vive fascination pour la Révolution française, et
émigre à Paris en 1792. Elle vit alors en concubinage avec un Américain, le
capitaine Gilbert Imlay – dont il semble rétrospectivement qu’elle ait idéalisé le caractère et les intentions. En France, elle publie en 1794 An Historical and Moral View of the
French Revolution. Elle donne naissance à son premier enfant, Fanny,
en mai 1794. Elle fait une tentative de suicide en 1795, affectée par sa
séparation avec Imlay. Pour tenter de le reconquérir, elle part en Scandinavie
où elle effectue des transactions financières en son nom, afin de renflouer ses
finances. Elle consigne ses réflexions sur ce voyage dans ses lettres à Imlay,
qui sont publiées en 1796 sous le titre Letters
Written During a Short Residence in Sweden, Norway, and Denmark (Lettres écrites lors d’un court séjour en
Suède, en Norvège et au Danemark). Il s’agit de vingt-cinq lettres, où elle
devise de la sociologie des peuples Scandinaves, de philosophie, de la réforme
des prisons, des lois sur le divorce, de jardinage… Cette œuvre sera la
dernière publiée du vivant de Wollstonecraft.
A
son retour, elle ne peut plus se voiler la face sur l’état de sa relation avec Imlay ; elle fait une seconde
tentative de suicide – elle est repêchée par un passant alors qu’elle s’était
jetée dans la Tamise. Quoi qu’on puisse en penser, elle n’y voit qu’un acte
rationnel :
« La seule chose que
je doive déplorer, c'est que, alors que l'amertume de la mort était déjà
derrière moi, j'ai été inhumainement ramenée à la vie et à la souffrance. Mais
une ferme détermination ne doit pas être troublée par la déception ; et je
ne permettrai pas non plus que mon acte soit considéré comme une tentative
hystérique, car il s'est agi d'un acte de raison, décidé dans le plus grand
calme. Sur ce point, je n'ai de comptes à rendre qu'à moi-même. Si je me
souciais de ce qu'on nomme la réputation, ce serait pour d'autres choses que
celle-là que je mériterais le déshonneur. » [6]
Plus
tard, Wollstonecraft retrouve un emploi chez Johnson. Elle rejoint un cercle
d’intellectuels influents et radicaux - William Godwin [7],
Thomas Paine [8],
Thomas Holcroft [9]
et William Blake.
Elle
entame une relation sentimentale avec William Godwin à partir de 1796, et
l’épouse en mars 1797 – bien que tous deux soient par principe contre
l’institution du mariage. L’explication réside dans la grossesse de Mary :
elle souhaite que son enfant soit légitime – pour que ni lui ni elle n’ait à
souffrir ce qu’elle a souffert lors de la naissance de Fanny. Elle est enceinte
donc, et accouche de Mary Wollstonecraft
Godwin [10]
en août 1797 – malheureusement, elle
meurt onze jours plus tard, le 10 septembre 1797, de complications dues à sa
grossesse.
Plusieurs
biographies de Mary Wollstonecraft ont été publiées. La première est sans aucun
conteste celle rédigée par Godwin, Memoirs of the Author of « A Vindication
of the Rights of Woman » (1798). Très détaillé, l’ouvrage est
inspiré des Confessions de
Rousseau ; il va participer innocemment à nourrir les critiques – déjà
florissantes à l’époque, mais qui devaient continuer à se développer tout au
long du XIXème siècle - sur la vie dissolue de Mary Wollstonecraft. Godwin
n’hésite pas à présenter, de manière choquante par sa franchise pour l’époque
victorienne, ses tentatives de suicides,
ses liaisons amoureuses, l’existence de sa fille naturelle, les circonstances
de sa mort, ...
Cette
biographie complète et fouillée sera donc utilisée sans retenue pour railler
Wollstonecraft, et discréditer ses travaux et leur portée, sous prétexte de
l’immoralité de sa vie privée.
Notons
enfin que l’ensemble de sa correspondance épistolaire a été publié en 2003 dans
The Collected Letters of Mary
Wollstonecraft, par Janet Todd.
La
fin du XXème siècle a été celle d’un regain d’intérêt pour Mary Wollstonecraft
et ses œuvres. Un travail immense a été effectué pour préciser sa biographie,
relire ses textes avec un œil neuf, et en présenter une fine analyse. Il y a
donc moult détails que je n’ai pas pu présenter ici. De même, les présentations
des œuvres ci-dessous sont loin d’être exhaustives ; j’ai dû limiter leur
nombre et leur contenu.
Mary : A Fiction
Wollstonecraft écrivit ce premier roman alors qu’elle était gouvernante en Irlande ; ainsi plusieurs des personnages sont inspirés de ses rencontres. L’amie de Mary dans le roman est très clairement à rapprocher de Fanny Blood. Fanny Blood était une amie très proche de Mary ; mais elles s’éloignèrent lors du mariage de la première. Elle mourut jeune, malade, causant une peine immense à Wollstonecraft. Tous ces faits sont reproduits dans le roman.
Mary
a été influencée par l’Émile et Julie de Rousseau,
dont sa correspondance assure qu’elle les a lu avant d’écrire ce roman. Bien
qu’admirative de certains de ses travaux, elle est néanmoins très critique sur
sa vision de la femme. Sophie, l’épouse d’Émile chez Rousseau, a été éduquée pour être mère et épouse car « l’éducation des femmes doit être relative
aux hommes ». L’éducation des femmes n’est donc pas une fin en soi ;
elle ne peut que se concevoir par rapport à l’homme, et c’est pour le bon
plaisir de l’homme qu’il faut aussi cultiver chez elles l’obéissance par-dessus
tout.
Il
est facile de comprendre l’opposition de Wollstonecraft ; elle lui
reproche rien de moins – à lui et à ceux ayant produit des théories sur
l’éducation dans le même genre - d’avoir « contribué à faire des femmes des
êtres plus faibles et plus artificiels qu’elles ne l’auraient été autrement et
à les rendre par conséquent moins utiles à la société ».
Claudia
Jonhson [11],
spécialiste de Wollstonecraft, affirme que cette œuvre est osée et aventureuse,
car elle dépeint une héroïne intelligente, aux capacités de réflexion ;
capable d’avoir des relations intimes avec les deux sexes. Mary – l’héroïne - est
de plus une femme accomplie, qui s’est formée par elle-même.
Il
faut noter que plusieurs années plus tard, Wollstonecraft reniera ce roman dans
une lettre adressée à sa sœur, le trouvant ridicule. Il fait effectivement
preuve d’un certain sentimentalisme, qui n’est pourtant pas absent de la
littérature de son époque.
A Vindication of the Rights of Woman
« Le livre de
Mary Wollstonecraft est une œuvre impérissable ! » - Flora Tristan
L’ouvrage
marque sans conteste les esprits, et est d’ailleurs immédiatement traduit en
français. Il s’agit du premier ouvrage féministe anglais, écrit par une femme.
Mary Wollstonecraft s’inspire de la philosophie des Lumières, de ce radicalisme
et de ce rationalisme qui y est associé, pour mener ses réflexions.
Révolutionnaire : elle déduit de l’égalité entre les hommes, l’égalité
entre les sexes. Elle dédicace d’ailleurs A
Vindication à Talleyrand, espérant que le caractère progressif dont il semble faire
preuve se traduise dans les faits.
Ce dernier produit un Rapport sur l’instruction
publique en 1791 ; il y reconnaît une inégalité entre les
sexes : « Une moitié du genre
humain exclue par l’autre de toute participation au gouvernement ».
Mais au nom d’un utilitarisme bon marché, il en conclut que les choses doivent
rester telles qu’elles sont. Le bien commun – et celui des femmes en
particulier - oblige à ce que les femmes restent moins éduquées que les hommes,
et qu’on leur dénie leurs droits politiques. Leur constitution, la Nature, leur
rôle de mère, leur complémentarité avec les hommes ; tout concourt à ce
que les choses restent comme elles sont. En abandonnant leurs droits
politiques, les femmes s’assurent un renforcement de leurs droits civils,
assure-t-il.
Mais
il ne s’agit pas d’interdire l’instruction aux femmes ; simplement d'une
instruction différenciée, pour en faire de bonnes mères et de bonnes épouses. Il
faut que toutes les « institutions tendent donc à concentrer l’éducation des femmes
dans cet asyle domestique ; il n’en est pas qui convienne mieux à la
pudeur, et qui lui prépare de plus douces habitudes. »
Talleyrand
ne revient pas sur ses écrits, et le souhait de Wollstonecraft que la Constitution
soit changée reste un vœu pieu. Après tout, en France, Olympe de Gouges, avec
sa Déclaration des droits de la femme (1791), n’avait pas eu beaucoup plus de
succès.
L’ouvrage est certes féministe, mais il est aussi
radical, et presque philosophique. Mary Wollstonecraft disserte sur ce qui fait
la vertu d’un individu, et d’une nation ; sur la raison et sur la
tradition. Je n’aborderai pas ici cet aspect de son essai (que l’on retrouve
d’ailleurs dans Vindication of the
rights of men) ; je souhaite simplement exposer ses arguments
féministes.
Elle
fait porter le préjudice subi par les femmes sur l’éducation qu’elles ont
reçu, et reçoivent ; c’est donc naturellement qu’elle réclame une égalité de traitement entre
hommes et femmes en matière d’éducation. Le même droit à l’éducation,
évidemment, mais aussi les mêmes matières enseignées – même dans les milieux
les plus aisés, les femmes qui étaient instruites ne pouvaient l'être dans tous les domaines. Le grec, le latin, les sciences leur étaient interdits. La
lecture des ouvrages de Jane Austen, notamment Pride and Prejudice, peut donner une bonne idée de
l’éducation qu’il est possible de recevoir lorsqu’on est une femme à cette
époque. Évidemment, les femmes issues des milieux défavorisés n’ont pas même
cette chance.
Elle
argue que les femmes ne sont pas inférieures par nature, mais par l’éducation
qu’on leur donne ; si on leur
donnait l’occasion de cultiver leur esprit, elles ne seraient plus alors ces
créatures débiles et vaines, frivoles et incompétentes. A ceux qui disent qu’il
s’agit de traits naturels chez la femme, que « les filles ont
naturellement un penchant pour les poupées, les vêtements et le
bavardage », elle répond qu’il s’agit de remarques absurdes. Tout leur
environnement les porte à privilégier ce genre d’activités : la vue de
leurs mères et de leurs nourrices faisant de même, l’obligation de rester
enfermée… « Apprenant dès l’enfance
que la beauté est le sceptre de la femme, l’esprit se modèle sur le corps, et
tournant en rond dans sa cage dorée, s’efforce d’adorer sa prison. »
Cet
accent mis sur le rôle de l’éducation dans le processus d’égalité entre hommes
et femmes s’inscrit tout à fait dans la première vague du féminisme. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle
cette œuvre est redécouverte par les mouvements féministes naissants aux États-Unis et en Europe au milieu du XIXème siècle ; par exemple, Elizabeth Cady
Stanton [12].
Elle
rapproche en outre la situation des femmes de la petite bourgeoisie et des
femmes pauvres, qui malgré la différence de statut souffrent
également de l’infériorité de leur condition.
Les femmes pauvres sont obligées
au salariat [13]
ou à la vente de services sexuels. Les femmes de la bourgeoisie quant à elles
sont réduites aux voluptés matrimoniales ; sans possibilité de
s’éduquer et sans perspectives
professionnelles, que leur reste-t-il ? Ainsi, Wollstonecraft souligne que
ce défaut d’éducation pénalise toutes les femmes. Elles profiteraient
évidemment d’une réforme complète du système éducatif ; mais la société
aussi.
En étant une meilleure épouse, une meilleure
mère et une meilleure citoyenne, la femme ne peut en effet que participer à
accroître la vertu d’une nation et son bien-être. Le manque d’éducation d’une
femme empêchera la propagation du progrès et de la vertu ; elle ne pourra
pas inculquer à ses enfants les valeurs du patriotisme. « Tant que les femmes ne recevront pas une
éducation plus rationnelle, on fera obstacle au progrès moral et intellectuel. »
Pour
Wollstonecraft, « la meilleure éducation
est celle qui consiste à exercer l’intelligence de la façon la mieux appropriée
qui soit pour fortifier le corps et développer le cœur, ou en d’autres termes,
à permettre à chaque individu d’acquérir de telles habitudes de vertu qu’il
soit indépendant. » Elle ajoute qu’on ne peut appeler vertueux un
individu dont les vertus ne résultent pas de l’exercice de la raison – c’est
l’opinion de Rousseau qu’elle étend également aux femmes.
Le
vocabulaire de la vertu n’est plus utilisé aujourd’hui dans les discours
féministes (et peu ailleurs) et les raisons qu’elle invoque pour justifier une
éducation complète des femmes peuvent surprendre. Je précise ici qu’il faut
encore une fois remettre les choses dans leur contexte ; les
préoccupations au XVIIIème siècle n’étaient pas les mêmes, ni évidemment la
condition féminine (oui, j’ai conscience d’enfoncer des portes ouvertes. Mais
on ne sait jamais).
Wollstonecraft préconise donc une éducation
rationnelle pour les jeunes femmes – éducation qui est refusée par les hommes de
son temps, quel que soit leur progressisme par ailleurs. Selon elle, le fait que les femmes soient plus
faibles physiquement ne doit pas être une raison pour les femmes de se
complaire dans cette faiblesse et pour les hommes de les y enfermer. Elle
réfute l’idée que la femme a été créée pour le bon plaisir de l’homme – et que
par conséquent son éducation doit viser à perpétuer cet état de fait.
Wollstonecraft pousse plus loin, et compare la philosophie de Rousseau à une
philosophie de la lascivité, fait de lui un sensualiste ; elle soupçonne que
si les hommes enferment les femmes dans le rôle de belles et innocentes
imbéciles, c’est pour asseoir certes leur supériorité intellectuelle, mais
assurer aussi leurs plaisirs.
Maria or the Wrongs of Woman
En 1798, Godwin publie son ouvrage
posthume Maria: or, The Wrongs
of Woman. Il est considéré
comme l’ouvrage le plus radicalement féministe de Mary Wollstonecraft. Il
s’agit d’une suite de l’essai A Vindication of the Rights of Woman,
mais inachevée et sous forme de roman.
Maria, ou le malheur d’être femme raconte
l’histoire de Maria, injustement emprisonnée par son époux dans un asile. Elle
y rencontre plusieurs autres personnages, dont une femme de rang inférieur,
qui elle aussi a souffert de sa condition de femme dans une société
d’hommes. Wollstonecraft dénonce les
injustices faites aux femmes, et notamment celle du mariage, contraint et
étouffant, qu’elle traite avec le vocabulaire de l’esclavage.
Mary Wollstonecraft et le proto-anarchisme
On
a souvent qualifié Mary Wollstonecraft de proto-anarchiste – sans que cela soit
à tort, par ailleurs. On considère souvent que l’anarchisme a pris son essor à
la fin du XIXème siècle, et prit rapidement de l’ampleur (en France, notamment,
jusqu’à la première guerre mondiale). Le préfixe proto va donc désigner ici le
fait que l’anarchisme n’est pas considéré historiquement comme un courant en
tant que tel à l’époque de Wollstonecraft ; en revanche, une relecture des
œuvres de Wollstonecraft sous cet angle en fait une des premières membres de ce
mouvement. Les anarchistes (surtout les anarcha-féministes [14]
d’ailleurs) de la fin du XIXème et du XXème ne s’y sont pas trompés, puisqu’ils
explorèrent de nouveau ces œuvres, ainsi que celles d’Emma Goldman [15],
Louise Michel [16]
et Voltairine de Cleyre [17].
Une
des manifestations de l’anarchisme de Mary Wollstonecraft peut être vue dans sa
fascination pour la Révolution française. Cela lui apparaissait comme la
possibilité en pleine réalisation d’une nouvelle société. Une société sans
esclaves ni maîtres, sans privilèges, où régnerait l’égalité. Le caractère vif
et passionné qu’on lui prête ne pouvait que se réjouir et participer à cet
engouement révolutionnaire. Il y avait là la possibilité de participer en temps
réel à la création d’une nouvelle société – et n’est-ce pas là le rêve de tout anarchiste ?
Sa
déception n’en fut que plus cruelle face aux dérives qui suivirent :
celles de la Terreur. Elle croyait en la notion de perfectibilité de
l’homme ; elle pensait même que l’avènement d’une nouvelle société plus
égalitaire se traduirait par une amélioration des mœurs et de la morale. Elle
n’abandonna pas ses convictions pour autant.
Sa
relation sentimentale avec Godwin, anarchiste notoire, participa sûrement au
renforcement de ses convictions – comme le peuvent les discussions entre
personnes se respectant et s’admirant mutuellement.
Tous
les textes de Wollstonecraft sont disponibles sur internet, puisque les droits
d’auteur n’ont plus cours depuis longtemps. Vous pourrez donc les lire tous à loisir.
---
[1]
Promenades dans Londres, Flora
Tristan, 1840
[2] En compagnie de Cowper et Lady Austen, Beau Brummell et Dorothy Wordsworth.
[3] Rights of man, 1791
[4] C’est ce qu’on a appelé la controverse
révolutionnaire, qui fit rage jusqu’en 1795 au Royaume-Uni.
[5] Notamment son recours à un langage sexué lorsqu’il écrit sur Marie-Antoinette.
[6] Cité par Janet Todd
[7] Journaliste, philosophe politique, romancier. Partisan de l’utilitarisme et de
l’anarchisme.
[8] Militant politique, philosophe, théoricien politique et révolutionnaire.
[9] Dramaturge, traducteur, et sympathisant de la Révolution française.
[10] Mary Wollstonecraft Godwin épousera par ailleurs Shelley – elle est célèbre
pour avoir écrit Frankestein.
[11]
Professeure à Princeton, spécialisée dans la littérature Britannique du
XVIIIème.
[12] Féministe américaine radicale (1815-1902), dont la lecture de Vindication fut conseillée par sa mentor
Lucretia Mott.
[13] Il ne faut pas oublier que le salariat est loin d’être la norme au XVIIIème
siècle – il s’agit même d’une exception, qu’on considère comme avilissante.
Jusqu’au début du XXème siècle, on parle d’esclavage salarial.
[14] La précision est importante, puisque le mouvement anarchiste s’est longtemps
caractérisé par une certaine misogynie (comme chez Proudhon), ou une
sous-estimation du problème posé par le
patriarcat.
[15] Anarchiste russe (1869-1940) et féministe
[16] Anarchiste et féministe française (1830-1905), figure majeure de la Commune de
Paris.
[17] Anarchiste et activiste américaine (1866-1912)
Enfin, je ne suis pas spécialiste de Wollstonecraft ; et je me suis largement inspirée de travaux déjà effectuée sur internet pour écrire cet article. J'ai donc fait un usage extensif de Wikipédia, dans sa version française et anglaise. Parmi mes autres sources- j'espère n'oublier personne- on trouve : 1789-1815, l'article Mary Wollstonecraft sur l'Encyclopedia Universalis en ligne, cette page. Les citations en français de Vindication sont tirés de la traduction française disponible ici.
Les analyses sont rarement de moi ; je n'ai fait ici qu'un travail de recherches des données puis d'organisation.
Enfin, je ne suis pas spécialiste de Wollstonecraft ; et je me suis largement inspirée de travaux déjà effectuée sur internet pour écrire cet article. J'ai donc fait un usage extensif de Wikipédia, dans sa version française et anglaise. Parmi mes autres sources- j'espère n'oublier personne- on trouve : 1789-1815, l'article Mary Wollstonecraft sur l'Encyclopedia Universalis en ligne, cette page. Les citations en français de Vindication sont tirés de la traduction française disponible ici.
Les analyses sont rarement de moi ; je n'ai fait ici qu'un travail de recherches des données puis d'organisation.
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