Le 08 avril 2014, Barack Obama a déclaré : « Equal pay for equal work. That's not that complicated ».
Les inégalités salariales renvoient aux différentiels de rémunération du travail entre plusieurs agents. Dans le cas des inégalités salariales homme-femme, l'amalgame est souvent fait entre « inégalité » et « discrimination ». La différence est pourtant de taille, la discrimination sous-tendant une intentionnalité orientée vers un groupe spécifique. Je chercherai ici les causes de ces inégalités salariales, entre hypothèse de discrimination genrée directe et d'effet structurel du marché du travail.
Il existe des inégalités salariales entre hommes et femmes, des différentiels de salaires. Elles ne sont néanmoins pas nécessairement en contradiction avec le principe de droit le plus souvent invoqué à leur égard : « à travail égal, salaire égal ».
En 2009, le revenu salarial moyen pour l'ensemble des salariés est de 1927 euros1. Celui des femmes est de 25 % inférieur à celui des hommes : on voit clairement que les femmes gagnent en moyenne encore moins que les hommes. On peut noter que cet écart est variable : si l'on s'intéresse aux salariées du privé, elles sont payées 29 % de moins que leur collègues masculins (toujours en revenu salarial moyen), contre 19 % pour les salariées du public. De plus, le différentiel dépend également de la classe sociale : les inégalités salariales homme-femme sont plus importantes dans les premiers déciles (parts de la population recevant les revenus les plus bas) que dans les déciles intermédiaires. Ce phénomène est en partie lié au biais de l'indicateur qu'est le revenu salarial. Il s'agit en effet du salaire net des cotisations sociales cumulé sur toute une année, il est donc sensible au temps de travail. Or les femmes sont davantage sujettes au temps partiel que les hommes. Un meilleur indicateur serait donc le salaire net équivalent temps plein. On trouve ici en moyenne un écart de 20 %, mais il faut également noter un phénomène de rattrapage des femmes par rapport aux hommes depuis les années 1980. L'écart subsiste pourtant.
Les indicateurs que je vous ai mentionné jusqu'à présent sont des indicateurs agrégés, ils ne nous disent donc rien du « à travail égal, salaire égal » pour lequel il faudrait une classification beaucoup plus fine. Cette classification pourrait se faire par profession, du type, comparaison entre les salaires des infirmières et infirmiers en milieu hospitalier, mais on pourrait toujours dire que la classification n'est pas assez précise pour mettre en relation des travaux vraiment égaux… C'est en fait un raccourci médiatique coupable d'opposer ces chiffres à la législation que je viens de mentionner. Pour montrer qu'il y a une contradiction, il faudrait exposer un cas de discrimination avéré.
Il est cependant difficile d'objectiver les discriminations homme-femme en terme de salaire. Comme je l'ai déjà dit, la discrimination se différencie de l'inégalité en ce qu'elle sélectionne ses victimes et fait l'objet d'une intentionnalité. C'est l’intentionnalité de la discrimination qu'il est difficile de prouver, d'objectiver.
Pour plus de précision, mentionnons qu'en 2001, une directive européenne qualifiait de discrimination directe les cas où « pour des raisons de race ou d'origine ethnique une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre l'aurait été, l'est, ou ne le serait dans une situation comparable ». Après l'élargissement du concept de discrimination, on a appliqué le même principe aux discriminations sexuelles. Il s'oppose en cela à la discrimination indirecte qui renvoie à une mesure apparemment neutre mais aboutissant au même résultat que la discrimination directe. La discrimination indirecte ne demande pas d’intentionnalité, c'est une catégorie juridique impliquant une étude au cas par cas ; comme nous nous situons au niveau agrégé, ce type de discrimination ne peut être prouvé par les chiffres.
On utilise en fait un indicateur : l'indicateur de discrimination potentielle de Blinder-Oaxaca. L'idée est simple : elle consiste à prendre un différentiel entre deux groupes et à distinguer la part explicable par les effets de structure et les caractéristiques objectives d'un individu (autres que celles que l'on veut tester comme objets de la discrimination) et la part non-explicable par des critères objectifs.
Cet indicateur possède la faiblesse d’être dépendant du nombre d'effets de structure2 pris en compte : on peut ainsi trouver avec ce même indicateur des différences de chiffres non négligeable. S. Ponthieu et D. Meurs3, deux chercheuses rattachées à l'INSEE, ont mis en évidence cette fragilité de l'indicateur en 2002. Elles ont utilisé une même base statistique, l’enquête emploi de 2002 de l'INSEE, en prenant en compte des nombres d'effets de structure différents. On aboutissait alors dans un cas à 68 % d'écart non expliqué et dans l'autre 23.5 % d'écart inexpliqué. Comment savoir quel chiffre est le bon ? On risque ici de créer un artefact (objet statistique sans lien avec la réalité), en retirant toutes les caractéristiques individuelles objectives et en les plaçant dans la catégorie « explicable » on tend à décontextualiser. Comme le disait Simiand, ce serait en arriver « à se demander comment vivrait un chameau, si, restant chameau, il était transporté dans les régions polaires, et comment vivrait un renne, si, restant renne, il était transporté dans le Sahara ».
Les discriminations sont à la fois illégales et injustes ; quand elles sont avérées la loi s'applique et punit. C'est la ligne suivie par l'actuel gouvernement français qui, à travers la loi de juillet 2014 sur l'égalité réelle, a alourdi les sanctions, excluant des marchés publics les entreprises ne respectant pas la loi de 1972. Avérer les discriminations en ôtant statistiquement aux individus un nombre maximum de caractéristiques, c'est revenir à une forme d'essentialisation stérile, car être une femme ce n'est pas une catégorie statistique mais une condition, un ensemble de situations. Pour expliquer les inégalités salariales il est donc plus fécond de se rapporter aux 80 % d'écart de salaire expliqué par l'indicateur de Blinder-Oaxaca.
Les inégalités salariales prennent sens dans un système d'inégalité ; pour en sortir, une évolution des normes sociales potentiellement accompagnée par des politiques publiques structurelles semble nécessaire. Les inégalités salariales sont en effet la conséquence d'un croisement de facteurs qui définissent la situation féminine sur le marché du travail, et je mettrai ici en évidence trois de leurs causes :
- Les systèmes de recrutement des employeurs. Cela recouvre les cas de cooptation masculine, mais principalement il s'agit du fait que les employeurs ne sont pas incités à offrir des postes importants ou des promotions à des femmes quand celles-ci sont susceptibles de poser de longs arrêts de travail en cas de grossesse.
- L'articulation des temps de vie. Il s'agit à la fois des arrêts de travail liés à l'événement d'une grossesse, mais également du quotidien, où on observe une répartition toujours inégale des taches ménagères et du temps dévolu aux enfants. En 2010, le temps de travail domestique moyen journalier des femmes est de 4h01 tandis que celui des hommes est de 2h134. En conséquence, les femmes sont plus souvent à temps partiel (ce qui participe à la création de poches de pauvreté féminine, caractéristique des familles monoparentales des premiers déciles) et acceptent moins souvent les heures supplémentaires.
- L'orientation professionnelle. Il s'agit dans les études du choix de filières moins rémunératrices. Les différents métiers restent en effet encore fortement genrés. D'après le site du ministère des droits des femmes, ces dernières se concentreraient encore aujourd'hui à 50 % dans 12 familles de métiers, tandis que les hommes se trouveraient à 50 % dans 20 familles de métiers différentes.
Les trois facteurs cités ne sont pas indépendants mais se renforcent mutuellement. L'orientation définit les revenus futurs, mais également les réseaux d'influence sur lesquels compter pour obtenir tel ou tel poste, elle entre ici en lien avec les politiques des employeurs. L'obtention par la femme de revenus moins élevés que son conjoint peut en retour agir comme argument pour justifier une inégale répartition des taches, et ainsi immobiliser la situation.
Il ressort de tout cela que malgré le fait que les femmes sortent désormais généralement plus diplômées que les hommes, les inégalités homme-femme subsistent, et ce, car le travail est une sphère d'existence régie par des normes encore très masculines et historiquement enracinées.
J'ai tenté de vous montrer que si les inégalités salariales étaient avérées, il n'était pas pour autant correct de les expliquer par une discrimination directe des femmes en terme de salaires. Les inégalités ne s'apprécient correctement qu'en un système qui, pour les femmes, se trouve au croisement de leurs vies personnelles et professionnelles. Dans un monde du travail encore masculin, il ressort que les facteurs explicatifs majeurs des inégalités salariales sont le plafond de verre et la contrainte horaire (sujets que j'aborderai dans un prochain article). Ces phénomènes sont le résultat de facteurs structurels qui ne peuvent être remis en cause que par une politique également structurelle. C'est l'orientation qu'a choisie le présent gouvernement à travers sa loi cadre de 2014, acceptée en juillet par l'assemblée. Le problème n'est cependant toujours pas un problème rangé, et par delà l'argument féministe que je me suis efforcée d'élaborer tout au long de cet article, l'objet d'inquiétude est plus vaste. En effet les inégalités salariales ont des effets a long terme sur les niveaux de vie et particulièrement au moment de la retraite. En 2008, sur l'ensemble des retraités français de plus de 65 ans recevant au moins une pension de retraite de droit direct, la somme moyenne d'argent reçue est de 1 329 euros5. Les femmes perçoivent en moyenne 1 102 euros, soit une pension de 31 % inférieure à celle des hommes. On pourrait y voir un effet de génération, mais lutter contre les inégalités salariales reste ici lutter contre la réapparition de formes de pauvreté que l'on pensait en voie d'extinction en France après les années 1970.
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1 L'ensemble des chiffres de ce paragraphe provient de Regards sur la parité, 2012, INSEE, « Fiches : revenus et niveaux de vie ».
2 La définition officielle de l'INSEE est la suivante : « Lorsqu'une population est répartie en sous-populations, il peut arriver qu'une grandeur évolue dans un sens sur chaque sous-population et dans le sens contraire sur l'ensemble de la population. Ce paradoxe s'explique parce que les effectifs de certaines sous-populations augmentent alors que d'autres régressent : c'est l'effet de structure. » Ici, on peut prendre comme exemple le fait que les différentiels de salaires hommes/femmes peuvent parfois s'expliquer par le fait que les femmes n'ont pas toujours les mêmes qualifications que les hommes, si ces qualifications sont inférieures elles expliquent que les salaires des femmes soient hétérogènes à ceux des hommes, tandis que ceux des hommes sont plutôt homogènes entre eux.
4 In, Regards sur la parité, 2012, INSEE, Layla Ricroch
5 In, Regards sur la parité, 2012, « Fiches : revenus et niveaux de vie »
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