Nouvelle bannière, nouveau sujet ! Dans les deux derniers épisodes de « Le Deuxième Sexe et le Septième Art », nous avons discuté de films anglo-américains datant des années 1990. Je vous propose aujourd’hui de revenir en France, et au temps présent, du moins pour quelques instants …
Les Filles au Moyen-Age est un film écrit et réalisé par Hubert Viel. Acteur du cinéma indépendant français, son deuxième film s’est introduit dans nos salles obscures en 2016. Il est probable que vous n’en ayez pas entendu parler à sa sortie, car si un adjectif devait décrire ce dernier, ce serait « petit ». Les Filles au Moyen-Age est en effet petit de part sa durée, son budget et l’âge moyen de ses acteurs.
Dans une ville péri-urbaine de la France contemporaine, trois garçons, trop absorbés par un jeu vidéo médiéval-fantastique, refusent de jouer avec leurs amies. Ces dernières, boudeuses, s’en vont, et interrogées par leur grand-père elles déclarent que les garçons préfèrent jouer au Moyen-Age, un jeu où elles ne sont que des victimes à défendre, plutôt que de jouer vraiment avec elles. Le grand-père s’étonne alors de leur vision déformée de cette période et entreprend de leur prouver que les femmes au Moyen-Age jouissaient d’un haut statut. Le reste du film est composé de scénettes de l’Histoire de France, jouées par les enfants et narrées par un grand-père interprété par Michael Lonsdale. La caractéristique principale du film est de faire jouer des personnages médiévaux, souvent ayant véritablement existé, par des enfants. Ce choix déplace naturellement le regard du spectateur qui envisage alors d’une nouvelle façon de Moyen-Age, et la question de la condition des femmes à cette époque. Les dialogues naïfs et juvéniles aliènent l’étrangeté de cette époque qui n’est plus le contrepied obscurantiste à notre modernité.
Nous allons aujourd’hui étudier ce film d’un point de vue cinématographique et non historique. Nous nous intéresserons à la manière dont Hubert Viel construit une série de rapprochements et de ruptures entre Moyen-Age et époque contemporaine autour d’une thématique engagée. L'objet de cet engagement reste à définir.
Il s’agira d’abord de déterminer le rapport à l’Histoire et au passé du film. Puis nous nous pencherons sur la réhabilitation de la condition féminine au Moyen-Age effectuée par le réalisateur. Une réhabilitation qui a pu pousser certains critiques à qualifier le film de "féministe". Finalement nous nous demanderons si ce rapprochement entre époque contemporaine et Moyen-Age n’est pas un prétexte grâce auquel Viel peut créer une rupture entre les deux périodes à travers l’introduction de la thématique du capitalisme.
Les Filles au Moyen-Age s’inscrit d’emblée en lien avec la discipline historique universitaire et en décalage avec la représentation cinématographique classique du Moyen-Age.
Le film, bien qu’exhibant une caution historienne, s’en dégage assez rapidement. En effet Hubert Viel fournit une première ligne de défense à son travail grâce au récit de ses origines. L’idée de Les Filles au Moyen-Age lui est en effet venue lors de la lecture de Les Femmes au temps des cathédrales, ouvrage de l’historienne médiéviste Régine Pernoud. Ainsi toutes les scénettes dépeintes par le cinéaste seraient historiquement valides. Valides, car tirées du livre de Régine Pernoud, mais également certifiées par l’historien Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, qui a effectué une relecture du scénario et se porte garant de la crédibilité historique du film. « Tout est vrai sauf … En fait, ce qui est vrai c’est l’idée » a pu déclarer Hubert Viel lors d’une intervention à l’Ecole Normale Supérieure de Paris. Par cette phrase le réalisateur brandit la caution historique de son oeuvre mais ce place en décalage avec elle. Au sein du film, ce décalage est marqué par la volonté de ne pas entretenir l’illusion, le réalisme du genre du film historique traditionnel. Les Filles au Moyen-Age est ainsi caractérisé par des décors naturels et dépouillés, et des habits modestes, rompant avec les principes du « film en costume » et de ses adaptations vidéo-ludiques qui servent de contre-pied au récit du grand-père. Les rôles principaux de l’Histoire de France sont devant nos yeux surpris joués par des enfants et se présentent sous forme de scénettes, rompant avec l’aspect violent, adulte et la forme d'épopée des films se déroulant au Moyen-Age. Hubert Vieil entend ici très clairement prendre à rebours ces représentations et développer sa propre vision de l’époque dans un univers justifié historiquement mais marqué par un fort onirisme.
C’est entre passé et présent, mémoire, Histoire et rêve que Hubert Viel met en scène les aventures de ses petites héroïnes. La différence entre passé et présent semble à première vue claire, évidente. Le récit moyenâgeux est ainsi représenté en noir et blanc, tandis que la période contemporaine est elle filmée en couleur. Le récit avance chronologiquement, des lignes de texte introduisant les dates auxquelles les événements ont lieu. Néanmoins la temporalité est floutée par la poésie du film faisant balancer le récit entre Histoire et onirisme. Cette poétisation du propos est servie par les caractéristiques techniques du film. Ce dernier est filmé dans un cadre carré, format inhabituel évoquant les enluminures du Moyen-Age. Le film est tourné en 16 mm, donnant ainsi un grain particulier à l’image, un aspect ancien et moins réaliste que les formats plus modernes. Finalement, le noir et blanc contribue à la diffusion d’une lumière que l’on pourrait qualifier par moment de « céleste », d’irréelle. La tension entre Histoire et onirisme trouve son point culminant alors qu’il s’avère que depuis le début de la narration du grand-père, sa petite fille dormait, transportant ainsi les images que nous avions observées dans le domaine du rêve. Le personnage du grand-père introduit alors une nouvelle modalité du traitement entre présent et passé, ni Histoire, ni rêve, il s’agit de la mémoire. Ainsi si la narration se présente comme la lecture d’un livre d’Histoire, notre narrateur avoue après le réveil d’une des enfants avoir raconté l’histoire « à sa manière ». L’écho entre les connaissances des plantes par les filles du Moyen-Age et celles du grand-père à l’époque de sa jeunesse complète ce flou établi entre connaissance historique et mémoire personnelle. Entre mémoire, rêve et Histoire, le présent et le passé se mêlent.
Nous avons vu que le film présentait une caution historique, servant ici à soustraire la vision portée par le réalisateur du Moyen-Age à une critique historique, il s’en éloigne rapidement mettant en scène un univers où passé et présent sont imbriqués, invitant à l’appréciation des différences et ressemblances entre les deux époques.
Hubert Viel souhaite se placer à rebours des représentations traditionnelles du Moyen-Age, il s’agit de revaloriser le statut qui y était donné aux femmes en introduisant ici un parallèle entre la période contemporaine vue comme progressiste et un Moyen-Age tout sauf obscurantiste.
L’absence de hiérarchie entre homme et femme est permise ici par les principes du christianisme. C’est cette construction théorique que mettent en scène les deux premiers segments du film se déroulant au Moyen-Age. La structure du film suit celle du livre, par chapitre, lu par le personnage de Michael Lonsdale. Son préambule narre le passage du droit romain au droit chrétien à travers l’épisode de la femme adultère. Il est précisé de façon « comique » que les enseignements de Jésus ne sont pas immédiatement appliqués puisque ce dernier se retrouve également mené au supplice. Le chapitre intitulé « Euphrosine » met en évidence l’adoption des principes de Jésus dans le traitement des femmes par les théologiens. Euphrosine est une petite servante au sein d’une église. Son maître la surcharge de travail sans égard pour elle alors qu’il accueille un évêque en chemin pour le concile d’Ephèse en 430 après J.C.. Cet épisode a la fonction de nier la supériorité des hommes sur les femmes au sein de la création. En effet l’évêque vient faire part d’une découverte révolutionnaire au concile d’Ephèse. Historiquement, lors de ce dernier eut lieu un des grands débats de la philosophie médiévale. Il portait sur le nom à donner à Marie. Si Jésus est humain, alors Marie est mère du fils de Dieu. Si Jésus est divin, alors Marie devient littéralement la mère de Dieu (théotokos). Cette alternative pose la question théologique de la nature de Jésus, humaine ou divine. Elle pose également la question politique de la légitimité du statut inférieur des femmes au sien de la société. Le petit évêque vient présenter sa thèse sur la question. Il déduit de la trinité, et donc de la nature divine de Jésus le haut statut de Marie qui est alors identifiée au Saint Esprit, ce dernier devenant, LA SaintE Esprit. L’évêque et son compagnon se jettent alors aux pieds d’Euphrosine, marquant ici le respect dû aux femmes comme étant de même nature que la Sainte Esprit. Euphrosine est le seul personnage de Les Filles au Moyen-Age nommé et entièrement imaginaire. Pourquoi l’avoir introduit dans le récit ? Elle permet certes d’exemplifier l’infériorité de fait du statut des femmes à cette période charnière de l’histoire religieuse. On peut cependant supposer que ce personnage qui reçoit une forme de don divin dans sa recherche du miel de lotus est montré comme plus proche de Dieu que ses compagnons masculins. La caméra adopte ici le mode de pensée du Moyen-Age figuré par le dernier plan sur Euphrosine, qui lance alors un regard mutin à la caméra signifiant ici sont statut supérieur au-delà de la fiction qu’elle dépasse de ce clin d’œil et pourtant seul personnage imaginaire.
C’est alors une égalité non seulement de principe mais dans les faits qui est mise en scène. Hubert Viel a comme nous l’avons mentionné tiré son inspiration pour Les Filles au Moyen- Age de Les Femmes au temps des cathédrales. Le déterminant « les » dans les deux titres montre cette volonté de ne pas uniquement s’intéresser aux « grandes femmes » de l’histoire de France mais également aux « femmes du commun » et ce pour toutes les classes sociales. Le réalisateur ne recherche pas l’exception. Au fil du récit de Michael Lonsdale, nous découvrons les vies de Clothilde de France, Jeanne d’Arc et Hildegarde de Bingen. Nous rencontrons également des figures anonymes, celles de la maîtresse d’école, de la petite fille atteignant sa majorité avant son frère jumeau, celle de la dame courtisée au temps de l’amour courtois. Le spectateur observe une égalité de fait, dans la vie professionnelle, dans la vie amoureuse, et parfois la possibilité qu’une femme atteigne une position de pouvoir. Certaines scènes montrent des personnes mécontentes de cette situation. Néanmoins dans ce système où la masculinité n’est pas hégémonique, la balance des pouvoirs entre les sexes semble rester figée dans une relative égalité. Tout au long du film la masculinité est thématisée sur le mode de la blague. Clovis est un barbare frappant de manière désordonnée ses ennemis mais doux comme un agneau quand il est confronté à Clothilde. L’évêque avoue que les théologiens ont « totalement déconné » en maltraitant les femmes. Le choix de faire jouer tous les personnages par des enfants est ici crucial, car ils apportent un décalage comique par rapport au sérieux des thématiques abordées. Affubler les petits acteurs de moustaches tend par exemple à décrédibiliser une masculinité exacerbée et à désamorcer de potentiels rapports de forces.
Nous avons vu que le film d’Hubert Viel souhaitait revaloriser le statut de la femme au Moyen-Age d’abord en mettant en évidence l’égalité entre hommes et femmes dans les principes chrétiens et leur égalité de fait au sein de la société, quitte parfois à idéaliser la période.
Cette idéalisation du statut des femmes au Moyen-Age dans le cadre de la mise en évidence des ressemblances et dissemblances entre cette époque et la nôtre tend à faire glisser l’enjeu du film de Les Filles au Moyen-Age à La Naissance du Capitalisme au Moyen-Age.
Les Filles au Moyen-Age présente une réhabilitation du statut des femmes au Moyen-Age par une revalorisation de leur statut au sein de la chrétienté. Le spectateur ne peut que constater la place centrale du christianisme au sein du film. On peut décréter avec raison que cette importance est proportionnelle à celle que prêtait les hommes et les femmes à cette religion à l’époque médiévale. Il est cependant à noter que cette centralité permet au réalisateur d’étayer son propos de l’exemple de femmes en position de pouvoir en vertu de leur appartenance aux ordres comme Hildegarde de Bingen, ou la maîtresse d’école, le cas de Jeanne d’Arc étant original. Ce rôle de premier plan joué par la religion chrétienne permet ici une réhabilitation par les faits du statut qu’elle accordait aux femmes mais également une réhabilitation sur le plan théologique. On peut ici mentionner à titre d’exemple l’épisode de la salle de classe. La maîtresse demande à ses élèves ce qu’une pomme évoque pour eux en se servant de leur éducation religieuse. La réponse vient immédiatement aux lèvres du spectateur. Il semble en effet s’agir d’une référence directe à la pomme de l’arbre de la connaissance du bien et du mal et au péché originel. Quelle n’est pas sa surprise quand aucun des enfants ne mentionne ce passage fondateur des saintes écritures. Une jeune paysanne lie la pomme au cycle de la vie entre graine et arbre, c’était ici la réponse attendue par la maitresse qui lui lance un regard approbateur. Toute mémoire de la stigmatisation des femmes par la Bible est effacée, affirmant la séparation qu’établit Hubert Viel entre un premier testament hostile aux femmes et un second testament plus favorable. Vision en soit discutable. Le réalisateur décide ici de filmer une société comprise comme communauté des chrétiens. L’égalité homme femme n’est pas notre égalité politique, économique et sociale contemporaine mais une égalité devant Dieu. Dans les faits les lois du Moyen-Age étaient rarement égalitaires pour les sexes, si bien que le statut d’une femme dépendait toujours de son rapport à un homme (vierge, mariée, veuve). On comprend à travers cette distinction pourquoi malgré l’affirmation d’une absence de hiérarchie entre hommes et femmes ces dernières laissent leur condition se dégrader au cours du film.
Cette situation se dégrade en parallèle de l’avènement du capitalisme, système au centre de la critique de Hubert Viel tandis que la question de la condition féminine passe au second plan. Nous avons déjà évoqué la construction par chapitre du récit du conteur. Le premier chapitre « Euphrosine » montrait la chute de toute notion d’infériorité des femmes au sein de la chrétienté. Le second chapitre « Les demi-déesses » nous présentait la haute condition des femmes au Moyen-Age. Le troisième chapitre « Moi, le roi Charles », marque la prise d’ascendant d’un homme, Charles V, individualiste, d’où peut-être l’adoption de codes de la télé-réalité dans ce chapitre. C’est sous son règne qu’est daté le début du centralisme étatique français, et d’une forme d’objectification des femmes (à l’avènement des maîtresses royales) a lieu. Charles n’est cependant pas présenté comme le cerveau pensant de ces changements. Il est en effet conseillé par le personnage de Jacques Cœur, personnage également au centre du dernier chapitre « Le contrat de confiance ». On comprend ici toute l’ironie liée à l’utilisation de ce fameux slogan, un contrat a lieu quand il n’y a justement pas de confiance. Dans ce chapitre on quitte définitivement un monde communautariste pour un monde individualiste, contractuel, reniant l’économie de subsistance. C’est la naissance du capitalisme, Jacques Coeur étant bientôt remplacé par le personnage anachronique d’un manager venant expulser des petites filles du jardin où elles cultivent avec une grande connaissance les herbes qui leur sont nécessaires pour vivre. Cet anachronisme met immédiatement en relation médiéval et période contemporaine. C’est le système économique actuel qui est critiqué. Lors du jeu du « Qui sait mieux faire » dans lequel se lancent les petites filles contre leur adversaire masculin, chaque sexe semble identifié à un mode de production et un mode de consommation, considération flirtant dangereusement avec le différencialisme si cher à la doctrine chrétienne sur laquelle s’appuie depuis le début le film. On comprend ici toute l’emphase portée sur la nature au sein des cadres. Alors que les couleurs reviennent doucement à l’image, une petite fille d’un autre temps affirme connaitre le latin et les vertus des plantes au petit manager qui lui propose un CDD en communication chez une grande enseigne d’électroménager. Hubert Viel présente ici une perte de valeur, qu’il condamne. On a ainsi pu parler d’un film « réactionnaire ». Féministe et réactionnaire voilà un apparent paradoxe ... Dans cet environnement différencialiste et anticapitaliste ce n’est pas uniquement des échos de la droite catholique que nous retrouvons. C’est plus clairement ici une référence à un « gauchisme » traditionnel dont l’intérêt pour la condition féminine était conditionné et secondaire par et par rapport à la lutte contre l’exploitation salariale. Nous avons précédemment évoqué une intervention publique d’Hubert Viel, au cours de la même intervention ce dernier a affirmé vouloir proposer autre chose que l’image du Moyen-Age renvoyé par les contenus culturels mais également les manuels scolaires. Les manuels scolaires selon lui, présentent d’une façon plus où moins favorable certaines époques pour justifier le système en place. On comprend ici que ce n’est pas le patriarcat qui est critiqué dans ce croisement entre justification étatique et jeu de ressemblance et dissemblance entre époque contemporaine et Moyen-Age. Ce qui compte est ce qui est opposé à notre époque. Les thématiques féministes ne sont alors plus qu’un prétexte pour s’opposer au capitalisme.
Dans cette chronique, je voulais étudier avec vous les parallèles et oppositions dressées par Les Filles au Moyen-Age entre présent et passé. Nous avions vu que le film se plaçait dans la lignée d’étude historique pour mieux s’opposer aux représentations classiques de cette époque. Cette caution historique était néanmoins gauchie, Hubert Viel souhaitant mettre en image sa vision personnelle du Moyen-Age en lien avec notre époque dans un mouvement complexe d’échos entre mémoire, Histoire et rêve. Il s’agissait d’abord de réhabiliter la condition féminine au Moyen-Age, de montrer le haut statut des femmes dans une époque traditionnellement vue comme guerrière et obscurantiste. Nous nous sommes alors étonnées de l’emphase portée sur le christianisme qui, avec le choix d’acteurs enfants, permettait une subjectivité dans la vision d’un Moyen-Age abstrait de ses violences envers les femmes. Il nous est apparu finalement que le nerf battant du film était d’avantage une critique du système capitalisme que du système patriarcal, tendant à faire passer la condition féminine de thématique principale à thématique secondaire du film dans une vision très différentialiste. Les Filles au Moyen-Age permet d’expliciter ici comment, tout en étant un film portant sur la condition des femmes, on peut ne pas mériter la mention « féministe ».
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