17/05/2015

Le 8 mars, à quoi bon ?


     Aujourd'hui je vais discuter avec vous du 8 mars. Vous devez vous dire que ce post arrive bien tard. Certes, il arrive plus de deux mois après la manifestation, mais ce n'est pas sans dessein. J'avais en effet pour ambition de tirer un bilan de cette journée, et pour cela prendre un recul par rapport aux événements et aux polémiques est nécessaire. Peut-être qu'à l'issue de cette évaluation ponctuelle, dans les années à venir, Problème Rangé publiera-t-il scrupuleusement tous les 8 mars ... Vous me direz peut-être : à quoi bon ? 
     "A quoi bon", c'est souvent en termes d'utilité et d'efficacité militante que l'on parle de la journée du 8 mars. L'argument parmi les féministes qui contestent cet événement et les anti-féministes qui s'y opposent est étrangement le même : la fête du 8 mars ne servirait à rien. Attention un même argument n'implique pas un même sens, un même raisonnement sous-jacent. Les anti-féministes qui nous gratifient de leurs vocalises en cette journée du 8 mars pour la remettre en cause se basent sur l'idée qu'elle ne sert à rien car il n'y a plus ni inégalités ni oppression entre les hommes et les femmes. Je ne m'imposerai pas ici de démentir une telle assertion, cela sera peut-être l'occasion d'un autre post. Les féministes qui remettent en question le 8 mars le font car cette manifestation ne serait pas utile, ne servirait pas son but théorique, celui de faire avancer la cause des femmes. Vous voyez ici tout le flou entourant la vocation que l'on veut donner à une telle journée, vocation très variable d'un groupe féministe à un autre, au niveau du gouvernement ou de la population. Reflet de cette ambiguïté autour de la finalité de cette journée, la multiplicité des noms associés à la date du 8 mars. Il nous faudra ainsi commencer par étudier les noms que l'on donne à cette journée de mobilisation car ces derniers sont porteurs de la signification que l'on apporte à leur objet.


    On entend souvent, trop souvent, le 8 mars qualifié de : "Journée de la femme". Est-il besoin de spécifier combien une telle appellation constitue une faute factuelle et sémantique ? Ni pour l’État, ni pour les organisations internationales (à l'origine de la transformation du 8 mars en jour de fête) ce jour ne s'appelle ainsi. Pourquoi ? Car une journée de LA femme ferait référence à une vision essentialisée du féminin comme l'indique l'article défini. Cet éternel féminin est précisément une des représentations formatant l'imaginaire patriarcal et servant d'élément justificatif aux formes d'inégalités et d'oppressions basées sur leur genre que connaissent les femmes. L'association serait maladroite n'est ce pas ? Appeler le 8 mars "journée de la femme", c'est adhérer implicitement à une vision sexiste des femmes basée sur des caractéristiques caricaturales ... Du type de celles qu'utilise l'industrie publicitaire. Peu étonnant que cette dernière n'hésite pas à utiliser l'expression "journée de la femme" dans sa réclame basée sur un marketing genré, pour nous vendre toujours plus de maquillage, ou de fleurs ... 

     Un autre nom donné au 8 mars est : "journée des femmes". Cette appellation est historiquement juste. Depuis sa création par le parti communiste soviétique, la fête du 8 mars a toujours été celle "des femmes", accompagné d'un adjectif plus ou moins flottant. Lorsque l'ONU l'intronise en 1977, le 8 mars est officiellement baptisé : "International Women's Day". Vous me demanderez alors quelle est la différence avec "la journée de la femme". L'usage du pluriel ici implique une reconnaissance des actualisations individuelles différentes du fait d'être une femme. Il n'est pas pareil d'être une femme aux États-Unis ou au Burkina Faso, comme il n'est pas pareil d'être une femme appartenant à une classe sociale élevée, ou d'être membre des working class. Le pluriel implique une diversité qui remet en cause toute tentative de brider les individus dans le cadre étroit d'une vision stéréotypée de "la femme". La "journée internationale des femmes" garde un aspect festif et de célébration de figures individuelles, en cela elle n'est pas à l'abri de dérives. La concentration sur des individus tend en effet à faire oublier les structures de la domination que subissent les femmes et l'aspect collectif de la responsabilité de chacun dans la persistance de telles structures.

     Un nom moins utilisé dans le langage courant, et pourtant plus pertinent, est celui de : "journée internationale pour les droits des femmes". Voici un titre quelque peu long ... C'est pourtant le nom officiel en France de la journée du 8 mars depuis qu'elle a été reconnue par le gouvernement Mitterrand et sa ministre des droits des femmes Yvette Roudy en 1982. Le nom est fastidieux mais cerne bien mieux les enjeux d'une telle journée. En effet la mention "des droits" nous place tout de suite à un niveau politique. C'est ici reconnaître que la domination que subissent les femmes est multi-dimensionnelle et que la puissance publique a le pouvoir de faire évoluer un statut quo non fixé de toute éternité. Se placer à un niveau politique c'est aussi impliquer la société. Un droit n'existe que lorsqu'il est reconnu par la communauté, c'est tout le sens originel du mot "politique" qui surgit alors. Une telle appellation permet ainsi de se décentrer des cas individuels et d’interpeller chacun en tant qu'individu social et politique à tourner son regard vers la condition des femmes au sein de la société. 
     On pourrait penser qu'en arrivant à un tel nom, nous avons épuisé les fins que l'on imprime sur le 8 mars. Il existe pourtant un dernier nom, non-officiel mais utilisé dans les groupes militants féministes. Il s'agit de qualifier le 8 mars de "journée internationale de lutte pour les droits des femmes". Ici la société n'est pas uniquement prise à témoin, dans un cadre réflexif, elle est également prise à partie, et incitée à la lutte, une lutte en partie contre elle-même et la rigidité de ses structures. En raison de la profondeur du sens qu'elles portent, c'est à l'aune de ces deux dernières appellations (journée internationale pour les droits des femmes, et journée internationale pour la lutte pour les droits des femmes) que nous devons évaluer l'utilité, l'efficacité, du 8 mars.

     Alors que s'est il passé cette année ? Pour le savoir, je vous conseille de parcourir cet article de Libération qui cerne heure par heure les principaux événements de cette journée, en France, sans omettre un bref aperçu du monde.

     Au niveau national, la journée a principalement été marquée par les manifestations tradition-nelles, la marche internationale pour les droit des femmes et la marche du 8 mars pour toutes. Ces manifestations doivent être regardées dans l'optique d'une journée internationale de lutte. A travers ces marches et leurs multiples slogans, la société est prise à partie. L'impact au niveau national de cette journée est également, et surtout, permise par les médias. Là commence le débat. Je ne suis que trop d'accord avec l'idée que la sensibilisation aux problèmes que rencontrent les femmes doit être : "tout le temps, partout".
     Néanmoins condamner pour cette raison le focus effectué par les journaux le 8 mars n'est pas faire preuve de réalisme sur le fonctionnement de l’industrie médiatique. Il est impossible d'avérer que parce que le 8 mars existe, les journaux font de la rétention d'articles sur les femmes tout au long de l'année pour les concentrer le 8 mars. Il est plus probable que si le 8 mars n'existait pas, les journaux et autres média parleraient des problèmes auxquels les femmes sont confrontées à leur rythme de croisière habituel, une fois par semaine en estimation haute. Le 8 mars implique une grande concentration d'articles dans tous les journaux à grand tirage, une concentration plus saine car n'étant pas suscitée ex-post par un événement dramatique. Être en amont d'une catastrophe c'est aussi avoir la possibilité d'adopter une posture réflexive et d'éviter cette dernière. J'ai pour vous écumé la presse nationale, et on peut ici dire que Le Monde, L'Humanité, et Libération méritent des bons points pour le nombre d'articles publiés en cette journée, ce sont aussi les journaux qui publient le plus sur ces thématiques en période normale. Cela laisse entendre que le débat n'a en fait pas vraiment d’intérêt. Ce n'est pas le volume d'articles qui compte mais leur qualité, en cette journée où les feux des projecteurs se tournent vers eux les groupes militants ont raison de saisir la moindre occasion pour que le message passe. Car si parler des droits des femmes c'est partout et tout le temps, cela peut donc aussi être le 8 mars. 
    Le focus dont bénéficient alors les militants féministes peut permettre de faire passer des mes-sages qui ne passeraient pas en temps normal, ce qui est certes regrettable, alors autant marquer les esprit, lier l'idée de prendre la société à témoin et celle de la prendre à partie. Cela c'est ce que peut accomplir le 8 mars car personne n'est dupe que ce n'est pas en une journée que l'on révolutionne un système de domination millénaire, c'est par contre en une journée que l'on peut marquer certains esprits, tenter de rallier à sa cause. Dans ce cadre, je ne peux que vous informer de l’existence du court-métrage, A Women's Day #throughglass. Suivez le lien ! 

Ce court-métrage choquant rappellera combien il est fallacieux de prétendre que le 8 mars ne sert à rien car il n'y a plus d'oppression subie par les femmes en tant que femmes et qu'il est faux que la journée ne peut pas faire avancer la cause. Une mobilisation volontaire peut toujours marquer les esprits. 

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